Marc Blanchet voit son troisième livre photo-texte publié par les éditions Imannences collection L’Atelier contemporain après « Zwischen Berlin » il y a un an. Sa double pratique est identifiée comme roman-photo. Son titre « 17 secondes » correspond à autant de séquences consacrées à l’approche aussi fascinée que respectueus
Une question initiale, essentielle, motive toute son action de prise de vue puis d‘écriture :
« Dans quel espace vivent ceux que l’on aime ? »
Chaque chapitre clairement numéroté s’ouvre sur une photo en noir et blanc teintée par des tirages aux sels de palladium reproduite en bonne page. L’image de la couverture comme quatre autres est composée au format paysage, le reste en portrait. Chacune est suivie d’une longue prose qui accompagne en une sorte de making of poétique les circonstances de la prise de vue et garde à juste distance d’observation son modèle « la femme qui se tient au bord du monde ». Ces « 17 secondes » élues ont été sélectionnées sur une vingtaine d’années de vie commune.
Chaque image est singulière, si « le mot corps semble de trop » pour la définir c’est que de nombreux effets visuels le tiennent à distance de regard. Sont ainsi ici convoqués des reflets, des obstacles matériels, des trames, des ombres portées, des écrans et techniquement des flous ou des tremblés.Mais tout cela se trouve au service du projet intime ainsi exprimé par l’auteur :
« Il comprend que l’image qui vibre et la femme en elle sont indissociables. »
Qu’elle soit profilée en buste dans l’ombre d’un pièce où elle se détache sur un tableau dentelé, mise à distance dans le cadre d’un miroir au tain piqué par le temps ou silhouettée au coeur de la croix organisée par quatre feuilles manuscrites, le modèle est toujours abordé dans une dimension onirique entre apparition et évanescence. Le photographe adapte systématiquement sa distance, pour mieux questionner l’intime et la proximité.
Si chaque moment est spécifique une seule image fait référence à une autre photographie très connue, d’un autre auteur, le Nu au bain de Ronis apparaît comme en filigrane dans une même attitude inclinée. Les images 5 et 6 semblent issues d’une même situation dédoublée au déclenchement. Seule la grille d’ombre qui structure le portrait s’est modifiée dans l’instant successif des prises. Il semble en justifier la logique intime en écrivant :
« Si la femme existe, du moins ainsi sur ces images, c’est justement une acceptation du temps. »
Cela s’applique aussi au fait que les seize premières images ne sont pas inscrites dans une légende temporelle mais accompagnées de la prose qui la fictionnalise. Seule la dernière photographie est marquée de cette indication temporelle d’identité « Nadia, Nîmes, 2013 ».
La photographie qui précède est la seule où cette femme apparaît en pied, plein cadre, marchant vers le photographe comme vers nous. Le mouvement de sa jupe suggère le chaloupé d’une danse.
Un projet d’une si haute sensibilité poétique nous accompagne dans la découverte progressive d’une personnalité grâce à une pratique photo-texte d’une réelle exigence. Cela ne peut qu’échapper à ce récent appel au moratoire de représentation des femmes par des hommes invoqué par Marie Docher. La différence s’énonce du côté du respect, de l’amour et de la création.