De l’idée de créer un musée du dessin contemporain à Vitry-sur-Seine est née, à la fin des années 1970, une collection de dessins ouverte deux décennies plus tard à la photographie. La collection s’est étoffée par des acquisitions et des donations, notamment des artistes membres du jury du prix de peinture Novembre à Vitry (Valerio Adami, Alexander Calder, Jean Messagier, Antonio Segui…) jusqu’à atteindre aujourd’hui plus de quatre cents œuvres. Elle est déposée au MAC VAL depuis l’ouverture du musée en 2006 et présentée régulièrement dans les Parcours de collection sous la plume de Catherine Viollet.
Il n’était pas simple d’en proposer une sélection. Catherine Viollet et Gilgian Gelzer en ont pleinement réussi le pari, en présentant à la galerie Jean Collet 186 feuilles. Jeu de piste chronologique, thématique, formel, exploration politique, cheminement dans les techniques ou déambulation au gré de son plaisir esthétique, le visiteur ne se lasse ni ne se perd dans l’accrochage fluide offert à toutes les rencontres, ouvert à tous les dialogues, Peter Saul (White World, 1970) versus Philippe Dufour (Le Tibet des images, 1989), Damien Cabanes (Samuel endormi IV, 2004) et Régine Kolle (Active Annie, 2007), Auguste Herbin (Fer et acier, 1945) et Bill Culbert (Abat-jours, 1993)… Rien qui ne relève là d’une accumulation fortuite ou d’une clôture ; une pensée de l’espace graphique oriente le visiteur en toute liberté de regarder et de penser, le convie à tisser ses propres résonnances et correspondances, à construire et à raconter l’audace du voir dans sa propre histoire des compagnonnages et des passions qui unissent la ville, le Val-de-Marne et les artistes. « A Vitry. amicalment » comme y invite Alexander Calder (Sans titre, 1969).
Le carton d’invitation (diptyque de Stéphanie Nava, Un écart s’apprécie aux moyens de le minimiser, 2011) introduit au portrait et à la représentation du corps. Corps paysage, corps montagne, la main tendue de l’homme et de la femme vers le bord de la feuille les rapproche autant qu’elle les séparent, écho, peut-être, aux mains gantées de Kyungwoo Chun (Most Beautiful, 2016) ou à la famille de Didier Mencoboni (Portrait de famille, 2001) où les portraits à la limite de l’abstraction ne s’individualisent que par leur taille et leur état suggéré d’agitation ou de calme ; les moyens de transport que les corps paysages de Stéphanie Nava serrent entre leurs doigts ne leur sont d’aucune proximité, manière de dire aussi les rapports complexes de notre corps à l’environnement (Leonardo Cremonini, Corps et pierres, 1962), de nos comportements culturels (Pierre Buraglio, Un château sur la rive du lac, d’après Lorenzetti, 1989-1991), scientifiques (Claude Viseux, Anisoptères, 1996), sociaux et économiques fondés sur l’attention ou l’inattention à la nature (Gérard Singer, Dessin de nature n° 19, 1976) et son exploitation (Alejandro Marcos, Le charme indiscret de la bourgeoisie, 1976), sur ses sursauts (Mark Brusse, Ohh Guagua…, 2000).
Le corps se dessine au repos ou en mouvement (Corneille, Nu à l’oiseau ou Marguerite à la rose, 1979-1980 ; Michèle Waquant, Le témoin, 2000), engagé (Peter Saul ; Christine Rebet, As a kamikaze, 2001 ; Hugh Weiss, Buste héroïque, 1975), agité (Antonio Segui) ou souffrant (Ernest Pignon-Ernest), seul, dissipé ou absorbé dans la ville, épanoui ou menacé, s’interrogeant sur soi-même (Jean Messagier, Le dos à l’herbe avec les paupières fermées, n.d. ; Marie-Claude Bugeaud, Nuit d’été, 1998) et sur son rapport aux autres (Marie-Jésus Diaz, Matière vivante n° 4, 1990 ; Claude Bellegarde, Substance humaine, 1978).
Le paysage s’imagine comme il se regarde, accords spatiaux improbables par la superposition de lieux, dessin sur photographie, avec la série Landscape versus Architecture de Marie-Hoffner (Singapour/Hobard, 2005), sites racontés, rêvés ou révélés à la pointe du crayon de couleur (Georges Rinaudo, On dirait un peu l’Égypte, 1994), de la mine de plomb et de l’encre (Jean-Marie Meister, Paysage, 1978) ou par la photographie (Florence Chevallier, 1995 Casablanca, 2000 ; Michel Séméniako, Temple de Bhutanat-Karnataka, Inde, 1992).
Naturel ou urbain, le paysage est le lieu de la présence, de l’appropriation et de la confrontation des hommes comme de leur fiction (Tania Mouraud, Borderland (ref2095), 2008), de leur désir d’iles (Frédérique Lucien, Cristina Martinez), de mers et de ciels (Serge Guillou), de pleins et de manques (Andrée Philippot-Mathieu, Paris Bastille V, 2007 ; Emmanuel Régent, Triple banderolle, 2014), comme de tensions et de fondus (Sabine Weiss ; Claude Dityvon).
Le dessin, faisant sien tout autant le graffiti que le dessin d’enfant, est aussi tout un jeu de gestes et de matières, médium, support et technique, où la forme et les dimensions de la feuille, par collage (Daniel Pommereulle ; Pierre Buraglio ; Christian Bonnefoi) ou découpage, par détérioration (les brûlures de Christian Jaccard) ou ajout, bousculent la représentation en horizons des possibles, aux frontières du net et de l’estompe, de la ligne et de la surface (Bernard Lallemand, Pulsions, 1978 ; Constantin Xenakis, Deux temps, 1975 ; Bernard Rancillac, Carnet, 1960 ; Chu Teh-Chun, 1972 ; Jack Vanarsky, L’inconsistant au miroir, 1979 ; Catherine Viollet, série Le pas du temps du modèle, 2010).
À Vitry, l’art est cœur de ville (Sonia Delaunay, Projet pour la patinoire de Vitry, 1976 ; Luis Tomasello, Projet pour les 3 Cinés Robespierre ; Valerio Adami, Projet pour les vitraux de l’hôtel de ville, 1983). L’accrochage à la galerie Jean Collet, pour laquelle il faudrait citer bien d’autres noms (Ian Paterson ; Geneviève Claisse ; Paul Pouvreau ; Geer Van Velde…) en expose la dynamique et l’utopie féconde en dialogue animé de la création contemporaine.