Images comme des oiseaux, la collection photo du CNAP sur le mode Warburg

Parmi les nombreuses approches critiques de l’image contemporaine une tendance récente implique une recherche théorique et sa mise en œuvres en exposition. S’y ajoute une volonté de mise en place d’une approche globale, systémique. Une brillante application nous est fournie dans le cadre de Marseille Provence 2013 par l’exposition Images comme des oiseaux qui permet à Patrick Tosani de revisiter la collection photographique du CNAP. Une exposition mise en espace par Pierre Giner et un livre aux éditions Loco témoignent de cette démarche ambitieuse.

L’exemple est venu du cinéma grâce aux avancées historico-théoriques de Jean-Luc Godard. Ce furent d’abord les huit séries d’émissions des Histoire(s) du cinéma et leur transposition éditoriale des quatre volumes parus chez Gallimard en 1998. Puis huit ans plus tard son exposition Voyage(s) en utopie JLG 1946-2006 au Centre Georges Pompidou qu’il présentait comme récupération d’une autre plus importante Collages de France, archéologie du cinéma d’après JLG, que l’institution aurait été incapable d’accueillir.

Si l’exposition marseillaise a été rendue possible c’est par la collaboration entre une autre institution, le CNAP, et deux artistes qui ont travaillé pour elle. Patrick Tosani a été membre de la commission d’acquisition entre 2007 et 2009 et Pierre Giner qui exerce au cœur des nouvelles technologies a créé le fabuleux outil de visite électronique de la collection qu’est cnap-n.fr, un générateur thématique d’images d’une haute praticité.

C’est ce dernier qui a organisé le système scénographique constitué de vastes plans inclinés qui permettent d’accueillir comme des sortes de cimaise-lutrins les rapprochements d’œuvres conçus par le photographe. Si Tosani évoque ainsi de façon générale l’esprit de son projet :
« Faire une exposition comme la métaphore de la construction d’une image (photographique) : être là, face aux choses, viser, cadrer, choisir, inventer un vocabulaire de formes, repenser un nouvel espace. Concevoir une exposition qui observe les territoires, la géographie, les lieux, qui regarde la généalogie des corps, qui scrute l’épaisseur de la peau, autant d’éléments de la corporéité de l’image photographique. » il avoue volontiers que son modèle pratique lui a été fourni par Aby Warburg pour les planches de son Atlas , Mnémosyne.

Un autre intermédiaire s’est intercalé entre le fondateur de l’iconologie contemporaine et les concepteurs de l’exposition. Il s’agit de Karl Sierek, théoricien du cinéma, professeur d’histoire et d’esthétique des médias à l’université d’Iéna,
auteur d’un récent essai Images oiseaux, sous-titré Aby Warburg et la théorie des médias.

Il est indispensable de rapprocher cette initiative du travail de relecture de la pensée de Warburg mené initialement de façon théorique par Georges Didi-Huberman et qui a trouvé aussi depuis trois ans ses versions en exposition d’abord au centre Reina Sofia de Madrid, puis dans une seconde version critique de la première au Studio national des Arts contemporains du Fresnoy. Le philosophe s’est lui aussi associé à un artiste , le photographe Arno Gisinger pour ces réinterprétaions artistiques du système iconologique de Warburg.

Si ces Histoires de fantômes pour grandes personnes s’appuyaient sur une approche citationnelle et critique de la planche Déposition de l’Atlas, l’intérêt de la nouvelle manifestation est de montrer sa possible généralisation à une des plus significatives collections d’images contemporaines.

En effet la sélection s’est effectuée à partir des 12 000 œuvres photographiques de la collection. Le choix subjectif et pertinent a retenu 676 photographies de 181 artistes.
Le livre reprend dans des doubles pages grand format les vastes compositions où sont respectées les proportions des œuvres entre elles, répondant au dispositif de monstration et refusant toute hiérarchisation de leurs auteurs et des genres photographiques.
Une mise en perspective de l’ensemble s’effectue grâce à un échange inédit entre la philosophe Marie-José Mondzain et le critique Laurent Roth questionnant la réception des images aujourd’hui.