Je n’ai pas besoin de spectateur…nous non plus.

Un espace de manque, un territoire post, une rétrospective annoncée avec une impression de chantier. Fatiguée d’emblée, souffle court ; pas envie de voir, de regarder et de parcourir. Pas curieuse justement. Je décide de cheminer cependant, bousculée bousculant dans un espace sans fluidité. Je lis la notice : « l’exposition est un monde qui s’auto-génère et varie dans le temps et l’espace, indifférent à notre présence ». Je suis rassurée.

Zoodram 4, l’aquarium se contourne. Poétique des constituants. Distorsions des visages des visiteurs. Alentour, du bruit. J’aimerais le silence pour fixer les orbites de ces minuscules invertébrés, éprouver leur immobilité, traverser le verre et devenir axolotl comme dans la nouvelle de Cortázar. Noir. Imprégnation et contagion onirique impossibles. Migration fébrile vers l’écran qui diffuse A Way in untilled, 2012. Plans sur le compost d’un parc pendant la Documenta 13 de Kassel. Lumière rossellinienne, un lévrier blanc, Human, la patte droite peinte en rose tyrien erre, fouine, gratte, extrait des éléments improbables sur un territoire incertain. Plan rapproché avec amplification de la bande son sur un long plan séquence où les poils d’un cadavre de rongeur sont fouaillés par des insectes nécrophages. Puis mouvement de caméra sur Untilled 2012, une sculpture de femme recouverte partiellement d’un essaim d’abeilles. Le lévrier à la patte rose se promène devant l’écran. Les spectateurs debout, trop grands, trop bavards rompent le rythme déjà aléatoire et fragmentaire de notre errance préfabriquée. Je regarde mon partenaire et nous nous éclipsons.

Poussière, pigment vert, vacuité, envie de fouler ce sable, cette poudre, je foule pour défouler. Et là, non ! C’est fait pour mais je n’ai pas le droit : le gardien embarrassé nous enjoint de nous essuyer les pieds pour éviter de répandre la poudre au-delà des frontières implicites. Echec de ce processus amorcé par l’artiste. Le spectateur contraint une nouvelle fois ne peut jouer, oublier, se transporter dans ces ailleurs où il croit être convié.
Surface glacée, patinoire déserte. Je songe à Lavaudant inclinant son plateau dans sa mise en scène du Roi Lear. Pourquoi ? Sans doute parce que la patineuse absente a laissé ses traces, sans doute parce que la rupture des dispositifs m’insécurise et me donne l’envie de rejouer et convoquer ma propre histoire.

Fin du parcours. Nous retrouvons la sculpture allongée d’une facture improbable, isolée, la tête recouverte d’un essaim. Un espace pour méditer notre temporalité et rêver paraît se dessiner. L’eau, la neige, la grêle tombent, nos épidermes frémissent… un temps. Intensification du présent. Vitalité.
Puis perturbation : on ne s’extrait décidément pas du processus de fabrication de ces colonnes qui crachent leurs substances mécaniquement. Tout est montré, la magie ne fait pas image longtemps ou inversement.
Je ne veux pas penser toujours, je veux rêver, lâcher. Pierre Huyghe sait ce que cela signifie mais sa démonstration nous fait cheminer sur du bitume institutionnel. Je ne veux pas être contrainte à l’errance. J’erre suffisamment. Je suis contemporaine. Pourquoi souligner alors, tel un exploit, la faculté de Pierre Huyghe à décrire la condition de « l’être contemporain » ? A quoi bon savoir que Pierre Huyghe « ne joue pas le jeu de sa consécration » ? Que cet artiste produise des situations, soit, mais pour parler de quoi sinon du processus créatif ? Rien de bien nouveau.

Méditons, pour clore ce billet boudeur, les intentions plus problématiques qui donnèrent lieu à un débat avec Chantal Akerman sur France-Culture en septembre dernier, entretien au cours duquel Pierre Huyghe avoua : « celui qui contraint mon travail, c’est le spectateur […] Moi je ne fais pas de spectacle donc je n’ai pas besoin de spectateur » et encore « plus je montre mon travail, plus je l’occulte ».
L’esthétique relationnelle est bien dédaléenne.