Jean-Marc Cerino, la nouvelle peinture d’Histoire de l’anonymat

En ce premier quart du vingt et unième siècle le destin de l’image photographique se joue aussi du côté de pratiques différentes de la peinture dont l’un des représentants les plus radicaux est Jean Marc Cerino dans l’héritage assumé de Gerhard Richter. Les éditions Macula publient un essai de Jean Christophe Bailly « La Reprise et l’Eveil » qui s’ouvre et se ferme sur deux images de l’atelier du peintre stéphanois. Cet « essai sur l’oeuvre de Jean Marc Cérino » est l’occasion pour le philosophe et écrivain de mener une réflexion sur l’obsolescence de l’image et sur les rémanences de l’histoire.

C’est dans la logique de la démarche théorique de l’auteur de « L’instant et son ombre » paru au Seuil en 2008 comme de « L’imagement » paru chez le même éditeur en 2020 de croiser la pratique picturale de Cérino. Dans son catalogue du Musée des beaux Arts de Dôle Le grain des jours paru chez Ceysson Editon d’Art en 2014 Jean Christophe Bailly proposait une première approche de ces peintures sous verre d’après photographie sous le programme L’effacement comme trace. Il en écrivait :
« Elles sont comme en train de s’exercer à ne pas disparaître, il y a en elles comme la constante d’une volonté de survie. ». Il les place ainsi dans la continuité des productions de l’Ange de l’Histoire défini par Walter Benjamin dans son dernier essai Sur le concept d’histoire.

En effet l’auteur examine l’ensemble des oeuvres sous la catégorie peinture d’histoire, dont il spécifie les sous ensembles du corpus d’images anonymes, regroupant des évènements, des tentatives aériennes, ainsi que des lieux industriels.

Dans cette approche globale avec le concept de remix il compare la méthode du peintre de celle de la musique lo-fi et des documentaristes italiens Angela Ricchi Lucchi et Yervant Gianikian. Notamment à propos de leur film Du pôle à l’équateur dans un jeu d’apparition/disparition qui retravaille les images d’un cinéaste italien du temps du muet Luca Comerio, chantre du colonialisme. A partir de là il interroge la pratique picturale : « Comment dans le plan éternellement fixe du tableau, faire entrer tout le fading away dont musique et cinéma sont les fidèles servants ? »

L’intérêt de l’approche critique ici menée est de s’appuyer sur l’analyse spécifique de chaque oeuvre dont la légende précise explicite le contexte historique ou sociétal. Jean Christophe Bailly s’attache d’abord aux oeuvres liées au patrimoine industriel ou à des évènements du combat ouvrier pour sa défense à différentes époques, dont il note le caractère exceptionnel dans l’art contemporain. Il est significatif qu’une des caractéristiques du choix des sources photos anonymes est de ne respecter aucun chronologie, autant que leur caractère non spectaculaire. Ce n’est pas un hasard si dans le catalogue de Dôle un texte a été demandé à Arlette Farge qui s’intéresse aussi à ce genre de faits.

L’alternance entre les deux pratiques, photographie et peinture, est constante. L’évocation sensible du noir et blanc tient de la première même si les techniques appliquées sous verre qui renforcent leur matière spécifique doit tout à la seconde. La technique de reprise de documents images s’applique aussi à des oeuvres de l’histoire de la peinture. Celles qu’il demande à quelques complices écrivains s’accompagne de leur « raconté » et de leur portrait à l’encaustique blanche, l’ensemble constituant Le visage de la peinture.

Dans la même perspective un ensemble est consacré à Malevitch, dans sa personnalité , sur son lit de malade, pour son enterrement, mais aussi dans l’évocation de son oeuvre à travers une vue de l’exposition 0.10 à Petrograd en 1915, dont le traitement façon négatif renforce le caractère documentaire. Ce même traitement est aussi appliqué pour des reprises d’évènements tel Le 17 juillet 1917 qui en accentue l’atmosphère dramatique.

D’autres images subissent l’éveil d’une relecture luttant contre l’oubli idéologique comme les deux oeuvres rendant compte de La déportation de Sinti et Rom, ou l’exécution d’un volontaire belge pendant la 1ere guerre mondiale. A l’opposé une image d’un bonheur possible montre Un jardin potager sur un toit de Paris en 1939. Cet aspect positif malgré les échecs de tentatives d’envol regroupe toutes sortes de machines volantes dont le philosophe atteste de l’aspect libératoire au plan psychanalytique.

Pour démontrer le caractère universaliste de la démarche du peintre le livre se clôt sur la reproduction de deux oeuvres reprenant picturalement des écrits issus de l’archive Walter Benjamin Qu’est ce que l’aura ? et La destruction et le chiffonnier qui résument la méthode de Jean Marc Cerino au service d’une nouvelle peinture d’Histoire où les anonymes, personnes et images, sont légion.