Il nous reste en France à préciser le rôle d’un certain nombre de pionniers de l’art vidéo, Stephen Sarrazin par son exposition rétrospective « Méandres et Média / “A Tale of Two Cities » qui s’est tenue en fin d’année 2016 à Bourges dans le cadre des Rencontres Bandits-Mages, nous invite à découvrir la personnalité et l’œuvre de John Sanborn, le livre qui accompagne cette manifestation réunit en un portrait choral une série de témoignages de ses proches, des artistes prestigieux avec lesquels il a collaboré et l’approche théorique de plusieurs critiques spécialisés.
Dans sa courte préface Sanborn revendique d’avoir été l’assistant de Nam June Paik, pionnier du media-art, dans ces années 1980, où il lui était encore possible de connaître les artistes vidéo à travers le monde qui n’étaient qu’un petit groupe de marginaux. Il s’et formé en tant que VJ, performant en ouverture de festivals vidéo et cinéma, Les commandes de vidéo musicales qu’il accepte lui facilitent ses collaborations avec des danseurs, des musiciens, des performeurs. Il reconnaît l’ambition qui l’anime ensuite et qui lui permet de changer la conception de l’art vidéo, de l’opéra, de la télévision et du récit.
Stephen Sarrazin dans son étude Horizons fugitifs rappelle la qualité de ses travaux communs avec Twyla Tharp, il réalisa la pièce Duet chorégraphiée par David Gordon et dansée par Mikhail Baryshnikov et Valda Setterfield. Le critique montre aussi comment sa pratique s’est modifiée dans les années 1990, quand le numérique ayant tout radicalisé, il a su profiter de cette nouvelle économie de production, et de l’indépendance économique au niveau de la post-production. Sanborn s’oppose au manifeste d’Yvonne Rainer et de son appel au non-artifice, il revendique au contraire une esthétique de l’ivresse formelle.
Pascal Lièvre, toujours soucieux de performance s’attache à une vidéo de 4 minutes 24 secondes produite en 1981, John Sanborn dans Ear to the ground, suit David Van Tieghem, célèbre percussionniste américain, qui joue avec deux baguettes sur différents objets présents de l’espace public de la ville de New York
Florian Gaité étudie les liens particuliers à la danse contemporaine en recherche d’un art total. Il cherche à capter « grâce à la danse des flux de mémoire, de sensations et d’idées qui érotisent l’image et la vision qui s’en saisit. ». Ainsi La transcription télévisuelle de Perfect Lives (1986) de Robert Ashley, un opéra comique sur la renaissance des âmes, combine différents médiums (vidéo, photographie, motifs infographiques, projection textuelle, voix d’Ahsley) dans une forme ouverte. V+M (2015) se penche sur la liaison entre Vénus et Mars, symboles de la polarité des identités de genre. Préoccupation notamment présente dans Still Life et PICO, les questions de la relation de couple et de la différence des genres sont abordées dans le sens de la déconstruction de l’hétéronormativité. V+M est en effet une ode à la liberté de choisir son identité.
La danseuse Dalila Belza mène en complément une lecture poétique de la vidéo en hommage à Arnie Zane avec la complicité de son compagnon Bill T. Jones. Arnie Zane dans ces années-là, poursuivait son œuvre de photographe et de performeur .Il tenait le journal de ses rêves, qui devait plus tard leur servir pour Untitled. Le danseur reconnaît l’apport du vidéaste quand il déclare : « John me suivait, mais il coupait, il accentuait la dynamique des lignes, il ajoutait de la tension, du drame et, en postproduction il fit apparaître et entendre Arnie Zane »
C’est un plasticien contemporain Stéphane Trois Carrés qui nous donne ensuite une approche très philosophique de l’œuvre. Son texte La métaphysique de l’immanence est sous titré L’anamnèse, la solitude ontologique, l’espoir… De l’intime à l’universel, du vide à l’existence dans l’œuvre MMI de John Sanborn. Au delà de la complexité de la formule il s’interroge sur comment on peut trouver de l’universel dans l’individu. John Sanborn nous emmène dans une anamnèse de la mort de son père, du 11 Septembre, de la naissance de sa fille et de son déménagement de New York à Berkeley.
Au cœur de l ’ouvrage, un important cahier d’illustrations nous invite à explorer Des univers multiples et des univers possibles .
Stephen Sarrazin interviewe Dara Birnbaum pour montrer les effets de génération. Elle y revendique ses influences majeures aussi diverses que celles de Vito Acconci, Dan Graham, Daniel Buren, Lawrence Weiner, Trisha Brown et Joan Jonas. Elle rappelle l’importance d’une exposition « The Pictures Generation ». Y était exposés des artistes tels que Jack Goldstein, Robert Longo, Barbara Kruger et Sherrie Levine. Dans ses relations à Sanborn elle déclare qu’il était intéressé par son travail, surtout par l’appropriation d’images télévisuelles (tirées du faible réseau câblé accessible à The Kitchen) et de leur appropriation, notamment des images de feuilletons grand public tels que Kojak et General Hospital. Elle insiste sur la nécessité encore actuelle de mesurer l’importance des travaux de quelques femmes artistes de lavidéo (dont Mary Lucier et Joan Jonas), ainsi que des créations alternatives et politiques de TVTV et Videofreaks. Elle désigne enfin Olympic Fragments de Sanborn/Fitzgerald comme une œuvre classique de l’art vidéo.
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Skip Sweeney qui souhaite devenir une star vidéo du rock, sur scène avec une caméra sur la hanche, créant des vidéos en direct évoque l’importance de Video Free America (VFA) en 1970, lieu mythique
de présentation et production d’œuvres occasion d’autres collaborations notamment avec le poète de la beat generation Allen Ginsberg. Ce lieu devint une sorte d’atelier pour Sanborn où travailler avec des danseurs et des performeurs. Un projet novateur fut Psychic Detective, un film/jeu vidéo interactif pour Electronic Arts. Les séquences avec les comédiens étaient tournées , caméra à l’épaule, du point de vue de chaque personnage. Tout aussi ambitieux fut Performance Indeterminate Cage Opera ou PICO, œuvre interactive de 90 minutes.. Le studio de VFA fut converti en une immense boîte noire pour assembler de nombreuses séquences mêlant danseurs, costumes, éclairages LED, , de moniteurs, au son d’un violoncelle tandis que de mots projetés flottaient au dessus des performeurs.
Son épouse Sarah Cahill pianiste, rappelle leur projet commun A Sweeter Music qui 2007, alors que la guerre en Irak s’enlisait fit appel à plusieurs compositeurs qui pourraient écrire une musique prenant position contre la guerre du fait de leur engagement :Terry Riley, Meredith Monk, The Residents ou Yoko Ono.
L’influence de Sanborn en France est étudiée à travers deux personnalités. Jérôme Lefdup réalisateur, plasticien, compositeur et musicien reste un incontournable de la création vidéo française, qui compte parmi les figures historiques de Canal+.Etudiant aux Arts Décos de Paris il rencontre l’œuvre grâce à Don Foresta, il déclare n’avoir « quasiment jamais cessé de faire de la musique pour les yeux et des images pour les oreilles » sous l’appellation « Vidéo Song ».L’autre personnalité est bien entendu Gabriel Soucheyre fondateur et directeur du festival Vidéoformes à Clermont- Ferrand depuis 1990. Il célèbre pour le cinquième anniversaire de sa manifestation l’avènement d’un art encore jeune grâce à cet invité d’honneur singulier John Sanborn qu’il place à la hauteur de Bill Viola et Gary Hill. Ce livre nous permet cette remise à niveau d’une oeuvre aussi riche.