Jordi Colomer. Les aventures photo/vidéo du réel et ses doubles.

Architecte de formation et sculpteur, Jordi Colomer produit depuis quelques années des prototypes qu’il active dans ses photographies et surtout dans des vidéos présentées en installation. Il rejoue ainsi parfois, avec des ajouts de textes fonctionnant comme les cartons intertitres dans la plupart des films de Godard, les aventures du réel et son double. Ses castings convoquent souvent des personnes victimes d’un handicap ou d’une singularité qui leur donne un regard spécifique, distancié sur le monde, aveugles, sourds ou nains sont nos intermédiaires pour en approcher la complexité fragile.

En France le public a découvert ce travail artistique grâce à sa série « Anarchitekton » où un même personnage, chevelu et au physique plutôt enrobé, porte en courant sur les sites mêmes les maquettes en carton reproduisant des architectures des villes de Barcelone, Bucarest, Brasilia et Osaka. La Villa Arson de Nice et la Galerie de Noisy-le-Sec ont produit à cette occasion le catalogue intitulé « Quelques stars » qui présente aussi les principales vidéo de l’auteur. Souvent reprises dans des installation il présente ces projections comme des « sculptures dilatées ». Celles-ci redoublent des espaces intérieurs qui assument souvent des fonctions intermédiaires ou qui fonctionnent comme des habitats stéréotypes.

D’une série à l’autre des répons s’opèrent entre personnages et décors. Soit l’acteur non voyant qui occupe la pièce rouge de « Simo » et que traque des panoramiques circulaires, le laissant parfois hors champ et donnant toute son importance aux impressions de présence sonore, il répond aux comportements quelque peu autiste des deux sœurs « Jumelles » de la vidéo du même titre ; elles occupent l’espace entre scène et spectateur d’un théâtre au plus grand mépris du spectacle, privilégiant leurs occupations intimes sur l’ordre de la représentation publique. De même l’espace prototype du « Dortoir » voit ses meubles en carton brûlés dans la vidéo suivante « Fuegogratis » qui reprend la tradition espagnole de la nuit de la Saint-Jean.

Ces jeux de déplacement et de duplication du réel dans des prototypes se joue aussi de l’aventure du langage devenu objet, dans un retour in situ : « 
« J’étais conscient de travailler à l’intérieur du champ de la représentation, littéralement immergé dans des décors, construisant le moindre objet, enfermé sur le plateau de tournage. Après « Le dortoir » j’ai décidé d’ouvrir une porte, de sortir avec une boîte en carton dans la rue et de travailler sur la scène de la réalité pour voir comment elle pouvait être contaminée par la fiction. » Ainsi, pour la série récente des photographies d’« Arabian Stars » présentée par la galerie Michel Rein, l’imaginaire de la culture de masse et ses vedettes internationales de la peopolisation voient leur nom arborés par des anonymes au Yémen. Tandis que les protagonistes des vidéo de « Babelkamer », flamand et wallon, communiquent grâce à la langue des signes au cœur d’une caravane qui se fait de cette manière Tour de Babel itinérante.

Dans la rétrospective du Jeu de Paume deux séries récentes de photographies produites en tirages Lightjet sur papier argentique explorent des sites chiliens. Dans le film « En la pampa » il accompagne dans un road movie un couple en errance dans le désert, certaines séquences font l’objet de photos comme celle de cet étrange « Cemeterio San Isabel » qui apparaît en second plan de la vieille limousine du couple comme une sorte de maquette construite en allumettes ou petit bois de caisse. Par opposition un autre cimetière, celui de « Pozo Almonte », révèle des constructions complexes d’une étrange nature, un urbanisme sauvage de l’art funéraire s’y développe comme autant d’abris humains de fortune.

La contamination s’effectue ici des problématiques du vivant vers le monde des morts, comme dans d’autres séries il privilégiait l’approche décalée des marginaux ou des handicapés contre celle d’une vison globalisante des bien portants. Ces allers retours dans des versions stéréotypées du réel bâti et de ses expressions écrites aiguisent aussi notre regard, le désature pour l’obliger à des réinterprétations salutaires.