Publié à quelques exemplaires seulement Ghosts of California est un objet étrange, moins un livre que la radiographie d’un lieu. À cette promenade paranoïaque dans l’image répond A criminal investigation, reportage de Yukichi Watanabe sur un détective dans le Japon des années cinquante. Ces deux livres l’un Suisse, l’autre Franco-japonais se complètent et se rejoignent dans l’évocation d’une certaine noirceur américaine.
Contrairement à la promesse de sa couverture jaune vif, Ghosts of California est un livre sombre et labyrinthique. Il abrite une série de six folios réalisés avec un ancien photocopieur optique et saturés d’une encre poudreuse. Les images qui se succèdent dans un ordre que l’on devine sans le comprendre sont des copies de copies, des images d’archives agrandies, recadrées jusqu’à perdre parfois leur lisibilité au profit d’une quasi-abstraction. On y rencontre des images de films noirs, des architectures modernistes, des publicités pour l’industrie nucléaire. Le sommaire dissimulé loin dans la succession des pages arrive bien trop tard pour donner une l’illusion rassurante d’une cohérence. Il vient au contraire rajouter à l’énigme de cette accumulation de preuves sans crime.
Au soleil Califorien, Izet Sheshivari oppose la face obscure du rêve américain, charriant dans un flot d’encre les images du Dahlia noir ou le tremblement du film d’Abraham Zapruder. C’est bien cette idée d’un film revu jusqu’à l’usure ou d’une image de presse agrandie jusqu’à la trame que convoque la succession des pages. Cette théorie de fragments esquisse la dialectique d’une enquête ou l’image serait à la fois la preuve et l’énigme.
En contrechamp du livre d’Izet Sheshivari se trouve A criminal investigation, un livre construit autour d’une enquête de police. Le photographe Watabe Yukuchi accompagne le détective dans ses démarches et documente ses faits et gestes avec application. Pourtant, dès les premières pages, quelque chose dans les images vient faire écran. La lumière, les cadrages et jusqu’à l’imperméable du détective convoquent un imaginaire qui appartient avant tout à la fiction, l’enquête photographique dérive vers une iconographie de cinéma et c’est l’image qui devient l’objet central.
Très vite d’ailleurs il manque à l’histoire des preuves et les éléments d’une narration. Le personnage occupe toutes les poses du détective, mais l’enquête reste pour nous muette. Nulle victime, nul coupable n’entre jamais dans le cadre de l’image. L’enquête de Watanabe comme celle de Sheshivari tourne en rond, mais pour mieux construire un réseau de signe, une machine plastique. Le livre construit sous la forme presque littérale d’un dossier de police met en scène la série d’image et enferme le détective dans une boucle sans fin, tel un personnage de film condamné, à chaque projection, à refaire les mêmes gestes vides.