C’est une exposition aérienne que nous offre la galerie Lélia Mordoch, où la main du sculpteur a rencontré le bois, qu’il a trouvé au hasard de promenades, objets ou branches et qu’il réutilise en leur laissant une vie propre. Ceux-ci restent identifiables, et acquièrent une vie autre. Cet artiste américain passionné par l’art préhistorique, la paléontologie, les sciences biologiques, vit et travaille à Paris et à New York. Ses sculptures offrent un voyage, l’histoire du bois, de la forme, burinées par le vent.
« Je vais vous raconter une histoire. A l’origine j’étais peintre, et à cette époque je travaillais l’abstraction. C’était dans les années 50-60. C’était dans l’ère du temps de l’Abstraction Expression of New York School que j’apprecie. Puis après l’école, je fus fasciné par le minimalisme, et lentement je me tournais vers la sculpture, pour que mon travail devienne de plus en plus basic. Je travaillais dur, je cherchais toujours quelque chose…pas les détails. Je ne voulais montrer que l’essentiel. La forme devait être simple.
Puis, j’ai commencé à faire des formes en polyester, en résine… J’ai alors réalisé un film optique qui produisait un arc-en-ciel de couleur et j’ai réfléchi : ces objets étaient vraiment beaux, mais complètement froids et impersonnels. Ils ne suscitaient pas l’émotion. Je suis passé par une période de doute et de questionnement. Il fallait que je crée une esthétique nouvelle, que je découvre autre chose. Comment regarder ? Qu’est-ce qui suscite l’émotion ?
Vous regardez un coquillage et vous imaginez l’histoire de ce petit animal qui a survécu et réussi à dépasser tous les problèmes de son existence… L’histoire de cet objet est reliée à la physique. Et j’ai trouvé vraiment passionnant cette idée. C’était pour moi comme un visage. Alors je décidai de faire des portraits de ces objets naturels… Prenons une plume par exemple, ramassée par terre. Elle porte toutes les petites blessures de l’oiseau. Tous ces instants vivent encore dans la plume et dans cet objet, on peut voir un morceau de nature. Comme les fossiles ! C’est une trace de notre vie sur terre. On peut entrer en empathie avec ces objets. En 1972-1975, je fis une renaissance, je dessinais des feuilles de papillon par exemple.
Et ce qui se mit à m’intéresser ce fut la renaissance de l’objet. Lorsque je trouve un objet sur la plage ou dans la rue, j’en aime d’abord la texture. Quand je reconstruis l’objet, je lui offre une autre renaissance !
Mes sculptures ne sont pas en volume. Posées sur le mur, elles orientent le regard. Cela vient du temps où j’étais peintre. J’aime poser mes sculptures au mur. Ainsi, je peux guider le regard sur mes œuvres, la distance du spectateur et la direction. C’est peut être plus formel mais il est nécessaire de voir les œuvres en face.
En ce qui concerne « Sylphes » c’est une idée proche de la série précédente que j’ai intitulée « Wind ». Ces formes féminines le sont par la force de l’extérieur. Il y a quelque chose qui transcende, une influence… Pour « Sylphes », la mythologie des sylphides est secondaire. Cette série est une forme influencée par une force mais qui vient cette fois de l’intérieur. Ce qui est premier c’est la référence à la nature. Le sujet est secondaire. Ce qui est premier c’est la forme et l’espace.
Il est essentiel que je respecte l’intégrité du matériel. Pour moi, le matériel est un produit dans un temps donné. Il renaît dans une autre situation. J’ai beaucoup de respect pour l’objet que je ramasse. Ce serait un sacrilège que de ne pas le respecter. Je voudrais bien en faire quelque chose, y laisser mon empreinte mais, qu’en même temps le sens du matériel continue d’exister. Il s’agit comme je l’ai déjà dit d’une empathie, d’une rencontre entre l’objet et moi.
Mes series « ready to wear » sont des sculptures plus anecdotiques. L’idée est plus amusante, plus légère. Le bois est comme un tissu drapé-figé… Mes titres, dans mes œuvres, ne sont que des additions supplémentaires. Il est utile pour le spectateur d’avoir une entrée dans les œuvres. Mes titres ne sont pas une explication mais simplement une position du spectateur.
Tout le monde trouve une certaine sympathie avec le morceau de nature que l’on ramasse par terre. C’est universel ! Chaque homme recherche quelque chose dans la nature. Mais mon travail après n’en demeure pas moins difficile. Je trouve un objet, une branche d’arbres…je les ramasse, ils entrent dans l’atelier, mais quelque fois le travail n’est pas immédiat. Parfois je redécouvre un objet longtemps après. Il faut que l’esprit libre, j’entre en réaction avec la forme et la texture. Je mets deux pièces ensemble et je réalise quelque chose. C’est une rencontre fragile. Je pense toujours que j’aurai pu regarder quelque chose ou faire autre chose. Par hasard, le moment de la rencontre se produit. Je suis réceptif à l’objet, à la nature. Quelque chose se produit, mais c’est un instant rare.
J’aime faire des promenades dans la nature. Mon esprit se libère. Penser. Respirer. Je réalise beaucoup de croquis au Père Lachaise. Aux Etats-Unis, j’ai une petite cabane, il y coule une rivière. Le son de la rivière qui passe dans les pierres lave mes pensées…
L’objet a une vie indépendante, une identité propre et personnelle et tout le reste arrive naturellement. Il dicte la suite de son histoire. La magie de la création, c’est l’art véritable. C’est impossible de donner une définition de cette rencontre. Le moment que je cherche toujours c’est quand l’objet trouve sa vie. C’est à cause de cela que je suis sculpteur. Pour toucher à l’émotion. »