« L’abstraction invisible de Bernard Plossu », entretien avec Christophe Berthoud

Bernard Plossu, qui refusa dans sa jeunesse de suivre des études, préférant fréquenter les salles obscures de la Cinémathèque française puis partir à la rencontre des Beatniks américains, donne le ton dès l’incipit du livre : « Dans ce qui était prévu pour moi il y avait le fait d’être de tel pays, telle ville, tel village ; je fais partie des gens qui ont eu besoin de se tirer. »

Empruntons donc avec lui, d’un pas léger mais sûr, les chemins de traverse que proposent la pratique artistique de cet infatigable marcheur depuis déjà une cinquantaine d’années. Dans la collection photographique des éditions Textuel dirigée par l’incontournable Clément Chéroux, Christophe Berthoud donne ici la réplique à l’auteur du célèbre Voyage mexicain (1979) avec la même intelligence sensible et clarté stylistique qu’à l’accoutumée (biographe entre autres de Roger Parry et Raymond Voinquel, il a déjà préfacé le livre 8 / Super 8 de Bernard Plossu aux éditons Yellow Now l’an dernier).

Érudit, vivifiant, foisonnant sans jamais pour autant se disperser, ce long entretien est le résultat de dix ans de travail. Il a notamment le mérite de dissiper des malentendus qui collent à la « légende », toujours « réductrice », comme le souligne l’historien de la photographie, de l’inventeur du « surbanalisme » (terme forgé par Plossu pour désigner sa propension à photographier des objets d’une grande banalité, « sans qualité », où l’influence du surréalisme est très présente). Celui-ci a en effet souvent été identifié comme le « photographe du flou » qu’il n’est pas systématiquement, au contraire… Car les images de Plossu sont aussi, en réalité, très construites. « Cubistes » (pour reprendre l’expression d’une exposition passée à la galerie Michèle Chomette à Paris), elles sont générées par un processus d’ « abstraction invisible » – qui donne au livre son titre -, même si nous sommes bien en présence d’une « esthétique spontanée ».

L’autre grand mérite de cet entretien en forme d’ « art poétique » est de proposer une chronique vivante et généreuse de la reconnaissance de la photographie dans les institutions et les galeries privées en France, dont Plossu fut dès le début des années 1970 un acteur majeur.