Du 8 juillet au 13 juillet 2010 a eu lieu, à la Maison de l’Unesco, l’exposition du Cinquantenaire des Indépendances Africaines. A l’initiative du PAMOJA (pour le rayonnement culturel et artistique du continent Africain), cette exposition fut unique. Promenade d’une scénographie certes monographique mais au service d’une dédicace, à un artiste, à un pays : plus de deux cents œuvres de 14 artistes sont ainsi réunies, provenant d’autant de pays d’Afrique. De cette sélection d’artistes confirmés se dégage une singulière spiritualité. Dichotomie blanche et noire…l’art n’ignore pas les frontières, il les transgresse tout simplement.
SIMON SOHA, vit et travaille au Bénin. « Femme », huile sur toile
« Comme la parole qui sort de la bouche de l’homme », Simon SOHA organise son travail en deux temps et file la métaphore jusqu’à sa réalisation picturale. Cette parole en acte se matérialise par la réalisation d’une première toile, un tableau qu’il déchire alors de différentes manières. Simon SOHA réalise alors un second tableau, un fond qui représente pour lui le monde dans lequel nous vivons .Et les mots deviennent acte, patchwork qui constitue des « albums de vie » qu’il colle sur le fond de la seconde toile.
La base du travail de cet artiste béninois est la femme. Elle est l’alpha et l’oméga. L’origine et la finitude. Monde spirituel et physique. On ne peut que la symboliser par l’esprit, qui s’enrichit selon la démarche de chacun.Il aime toucher la matière, et ne se sert jamais de pinceaux, sauf pour la signature.
« Le Temps » est une installation in situ, dont le point de départ est la volonté de l’artiste de changer le monde sans le rendre amer. Il s’agit d’un parcours initiatique, de la naissance à la renaissance en passant par la mort. Une date : 1960, date de l’indépendance des 14 pays qui constituaient l’Afrique francophone. Ces bouteilles à la mer, renferment l’esprit des teneurs de la démocratie, de ceux qui se sont battus pour la liberté de l’indépendance. Le temps propose un parcours de liberté et de fraternité entre les peuples aujourd’hui hélas encore séparés.
NOUFOU SISSAO né en 1978, vit et travaille en France et au Burkina Faso
« Chemin d’Artiste » (2009) est une sculpture en bronze qui n’est pas sans nous rappeler « l’homme qui marche » de Giacometti certes. Témoignage de l’artiste sur l’événement. Le pas de l’homme symbolise l’avancement sur le long chemin de l’indépendance, le bâton la force nécessaire pour avancer. La figure d’Œdipe est présente dans l’œuvre, l’artiste reconnaissant lui-même cette parenté.
Il utilise la technique de la fonte à la cire perdue. Matière épaisse de la trame de bronze, il pratique la récupération de nombreuses matières comme la toile de jute qui laisse sa trame dans le bronze, l’argile, mais aussi le plastique, le bois d’ébène. « Dans mes sculptures, je parle beaucoup des proverbes africains, essence même de ce qui nous guide dans la vie…Cheval de la parole, comme le dit si bien Amadou Kourouma … » Transmission orale des savoirs que notre continent a oublié.
HAROUNA OUEDRAOGO né en 1981 vit et travaille au Burkina et à Lyon.
S’il fait référence au jazz dans sa peinture, c’est d’une musique intérieure dont il parle. Il y a dans les œuvres de ce jeune artiste une partition à la source même d’une connaissance empirique.. Il utilise des pigments, de la peinture acrylique, de la toile, du papier et du charbon. Ses maîtres sont aussi bien européens qu’africains : Francis Bacon, Christophe Salvadogo, Sollycisse… Il dessine avec ses doigts. En fait ce qu’il aime par-dessus tout c’est susciter par son travail la rencontre avec l’autre : « tu es un guetteur, tu traverses une route, et tu regardes tout ce qu’il y a à côté, tu avances en saisissant chaque chose, comme si tu mettais des étiquettes dessus, comme si tu utilisais les actes, les situations…et tu ressens ce qu’elles donnent ». Correspondance. Echange. Lien renoué entre deux continents.
Le Sénégal est dignement représenté au sein de l’exposition par les Manufactures Sénégalaises des Arts Décoratifs de Thiès, institution d’Art Plastique créée en 1966 par le président Senghor lui-même.
Abdoulaye MBODJ accompagne le travail de ces ouvriers qui tissent la laine, et donnent corps dans ces tapisseries somptueuses au projet de grands artistes. Tapisserie tissée par un lien qui lie l’artiste aux Manufactures, l’œuvre produite ne peut l’être qu’ en un nombre limité d’édition. La peinture, réalisée sous forme de maquette entre dans l’atelier de cartonnerie où elle est laissée à l’ouvrage des peintres cartonniers, hommes autodidactes le plus souvent. La maquette est alors reproduite, agrandie…Précis dans la définition des couleurs de l’œuvre originale, suivant les lignes de l’artiste, le nuancier parcourt les différentes couleurs…un chiné par exemple correspond à un mélange de couleurs que le cartomancier restitue fidèlement. Chaque couleur a un code. Après le cartonnage, vient le tissage à proprement parler. La difficulté de réalisation tient dans la complexité des nuances, des lignes de l’œuvre de l’artiste : « Les murs sont plats, silencieux. Il est nécessaire de les faire parler. Les tapisseries nous parlent…Elles sont histoire, légende, trace de mythes, et apportent la joie ».
OWANTO, née en 1953 Owanto vit et travaille dans le sud de l’Espagne à Malaga et au Gabon, son pays maternel.où son nom signifie « la femme ». The lighthouse of memory , apportée par la mer cette œuvre est la mise en scène d’une « raconteuse » d’histoires qui s’inscrit dans la tradition orale de l’Afrique. Elle eut l’honneur de représenter le Gabon à la 53ème biennale de Venise au pavillon national du Gabon. Le thème qui réunissait les 78 pays était « Fare mundi »
Pour cette artiste confirmée, il est nécessaire de retourner aux valeurs fondamentales de la famille, de l’amour, du courage. « It take a village to bring up child »…Cette phrase remplie de lumière pour Owanto nous porte à la compréhension du rôle de la mère, de la grand-mère dans la société africaine. Elles assument en effet un rôle de transmission du respect, et permettent d’accéder à la connaissance de la spiritualité.
Marie SABAL-LECCO, née en 1954 au Cameroun, vit et travaille à Paris depuis 35 ans. Pour cette artiste engagée, ce combat elle le mène de manière particulière avec des oeuvres colorées, drôles…quand le rire est l’essentiel, les frontières disparaissent et la lumière de l’harmonie surgit.
Marie Sabal-Lecco utilise de l’acrylique sur des multiples supports : papier mâché, papier, toile, terre cuite. Cette peinture apparemment naïve délivre un message et offre la vision d’un monde nouveau dans lequel le mélange des races scintille de couleurs. Sur ces tableaux qui représentent souvent des femmes, tout est gommé : l’âge, la corpulence, la couleur de la peau. Ces différences, dynamique de l’œuvre deviennent un trait unique, rempli de couleur. « car la couleur c’est la vie ! » mais l’artiste poursuit « le rire c’est la vie ! ». Elle cite alors un proverbe qui anime tout son travail : « pleure, et tu pleureras tout seul, rit et le monde entier rira avec toi ».
Yao METSOKO, né en 1965, vit à Saint-Ouen et en résidence actuellement à l’Association MACAQ. Dans le cadre de PAMOJA 2010 à l’UNESCO, sa série intitulée « Quintessence… » a pour thème « les forces subtiles ». Le format qui s’est imposé à lui pour cette série est celui du carré ; ancrage d’un esprit rond dans un corps carré.
Il utilise des techniques mixtes sur toile, emploie des matériaux hétéroclites : acryliques, tissus, divers… La matière abordée par Yao Metsoko est de texture terrienne à dominante ocre, marron. Elle correspond à la retranscription des traditions ancestrales du pays d’Afrique dont il est originaire, le Togo. Son travail s’inscrit dans une dialectique entre l’enracinement et le rayonnement, l’ancrage en soi et l’ouverture au monde.
Jeu de lignes certes l’œuvre de Yao Metsoko est une invitation à la méditation : Ainsi, sa création est un travail d’ancrage dans l’essence des choses. Elle rend hommage à la spiritualité qu’appréhendaient ses ancêtres et permet le dialogue entre le passé et le présent. Toutefois, Yao considère le fait qu’il n’est pas historien mais créateur. « Je me situe au niveau d’une mémoire qui n’est pas « écrite » mais « inscrite » puisque je la porte. »
Comme nous le confiait Owanto, l’art africain a ses croyances, toujours dans une relation animiste. Les artistes africains sont « animés », au sens étymologique du terme « anima » signifiant « âme ». Artistes animés au-delà de la dichotomie blanche et noire. Projection d’une inscription ancestrale, les œuvres révèlent souvent la nécessité de la spiritualité. Tout à la fois source et ouverture, l’art africain contemporain est dialogique. Pont entre les hommes, il ignore les frontières du continent.