L’art pense le monde, d’Alin Avila Journal d’une passion partagée pour l’art

C’est à une histoire parallèle de l’art contemporain que nous invite le journal d’Alin Avila « L’art pense le monde . 1979-1999 » publié par Saisons de Culture. Nous y croisons un grand nombre des artistes qui ont fait la peinture au XX ème siècle, nous y (re)trouvons d’autres figures singulières de différentes pratiques. Des acteurs essentiels de cette scène pluri-artistique sont présents auprès de l’éditeur, critique, collectionneur et commissaire d’exposition.

Dans la préface constituée par un entretien avec le philosophe François L’Yvonnet il met en avant les grands moteurs de son action tous azimuts pour l’art :
« Tout mon travail espère atteindre ce but : changer la perception par l’art qui est une pensée agie par des émotions. Je crois que l’art peut penser le monde. »Avec l’oeuvre se fait alors une rencontre essentielle ;
« Celui qui est devant une oeuvre se trouve aussi en face de son auteur, cet autre qui interpelle par les traces qu’il a organisées. »

Le livre est construit comme un abécédaire qui multiplie les entrées tout en regroupant des notes du journal rédigées sur plusieurs années. On y trouve d’autres grands principes qui gouvernent son action et surtout les noms des différents artistes avec qui il a cheminé.

Chaque lettre est introduite par un montage de pages des carnets, de couvertures de ses livres, ou de mises en pages qu’il effectue avec brio et une exigence héritée de la collaboration avec Roman Cieslewicz (1930-1996). Les dessinateurs et graphistes ont en effet une place de choix dans ses compagnonnages. Il soutient en tant qu’éditeur l’aventure du duo punk Elles sont de sortie Bruno Richard et Pascal Doury. Il passe commande à Michel Houssin de sa première oeuvre monumentale de la série des Foules, il collabore avec Horacio Cassinelli et il partage une longue aventure avec le polonais Franciszek Starowieyski (1930-2009) pour son Théâtre de dessin . Dans cette discipline ce livre est l’occasion de découvrir la subtilité sensuelle des oeuvres graphiques de Gilles Rondot.

Son militantisme artistique lui a permis au niveau institutionnel dès 1981, pour le Festival d’Avignon, de monter les trois expositions Midi et demi sur la création dans le Sud de la France, d’être un acteur avec Georges Boudaille de la Biennale de Paris de 1981 à 1983, d’initier Courant d’art pendant 10 ans à Deauville, d’organiser de nombreuses expositions à la Maison des Arts de Créteil de 1978 à 1992. Il a su aussi au niveau individuel à la fin des années 1960 créer avec Serge Plagnol sa première galerie à Toulon pour une vingtaine d’expositions, dont la première d’Ernest Pignon Ernest. En 1987 il a ouvert à Paris la première galerie Aréa dans le loft de la rue d’Hauteville, lieu de rencontres et de multiples expérimentations festives et culturelles.

Dans ces différentes situations il a développé sa défense de la peinture. Il fut ainsi l’un des premiers à prendre le parti de Bernard Buffet bien avant que se termine son purgatoire critique . Il a rencontré et travaillé avec les plus grands comme Francis Bacon, Pierre Soulages, Zuy Millshtein. Il a collaboré régulièrement avec des représentants les plus significatifs de sa génération Klasen, Le Boulch, Velickovic… Il manifeste une approche singulière , très physique :
« Je dis que la peinture n’est que langue de femme tant elle est faite d’un silence qui bruisse sans vibration. Il envahit le corps par la voie de l’oeil. » Et encore :
« Devant une toile de Garrouste , il faut, attentif à son corps écouter sa musique.
Qu’est ce que la peinture ?
Tout l’être en écho. »

Aussi pour en rendre la présence plus prégnante il a contribué à des actions picturales performatives. En mai juin 1980 Robert Malaval (1937-1980) pendant 40 jours a créé en public à Créteil ses toiles d’ Attention à la peinture au seul son d’un rock live. Pat Andrea investit le loft de la rue d’Hauteville en 2013 peignant l’ensemble des cloisons de ses corps grand format, l’exposition sera entièrement détruite d’où son titre Rien à vendre.

Comme l’écrit Mylène Vignon« Pour Alin Avila, tout semble question d’espace, celui-ci est toujours imaginé comme une pensée, autant celui du livre que celui des mises en scène des expositions. C’est la question de l’autre – lecteur ou visiteur qui est en jeu. »

Cela se manifeste dans ses publications régulières où s’est illustré son goût pour des écrivains comme Bernard Noël, Pierre Tilman… Dès 1966 il dirige avec Daniel Biga la revue Identité dans laquelle il fait figurer son tout premier texte. Puis il publie Les cahiers de l’art mineur , consacrés à des non-artistes souvent engagés dans les combats de société. Repris par Autrement ils deviendront Les cahiers de l’image. Plus récemment il crée Area revue)s( qui compte aujourd’hui 34 numéros. Son équipe de fidèles est composée de Francis Fichot, Alain Pusel, Frédérique Le Graverend, Michèle Meunier et Fumihiko Harada. Il y donne la préférence à des entretiens pour rendre hommage à la parole des artistes de différentes générations. Cette habitude il l’a acquise auprès de Pierre Descargues (1925-2012) qui l’a appelé à le rejoindre sur France Culture pour Les arts et les gens pendant plus de vingt ans.

Son action d’éditeur et de collectionneur a trouvé une reconnaissance officielle en plusieurs occasions. A l’invitation de Chantal Lachkar, alors conseillère au livre en région Nord, a été mis en place un fonds Avila déposé à la bibliothèque Louis Aragon d’Amiens, objet d’un catalogue de ses productions Editions dernières.
A sa définition « Collectionner , c’est dans le multiple percevoir l’unique » il ajoute une recherche de permanence de sa passion. Originaire de Toulon il a gardé un attachement à la ville et à son Musée où il a eu ses premiers émois artistiques. Il a envisagé une donation avec Marie Claude Beaud qui s’est mise en place avec le conservateur qui lui a succédé, Jean-Roger Soubiran. « Puisque les oeuvres du musée sont les miennes dans mon imaginaire, les miennes sont à lui. Je crois au Potlach au troc symbolique : j’avais perdu mes racines , j’en trouvais de nouvelles à Toulon, dans ce musée …Que quelque chose de moi y retourne, c’est bien naturel… » 

La forme du Journal rend la lecture agréable ainsi que les nombreuses anecdotes concernant tous ces acteurs des différentes disciplines de l’art contemporain hors de toute école. Le style en est particulièrement recherché avec le sens de formuleséclairantes telle « Une oeuvre tient quand le détail égale le tout. » ou « Pas sûr que la peinture soit un langage, pas sûr que ça raconte : la peinture bruit. Le son qu’elle émet se découvre par les yeux., c’est le chant d’une langue qui vient d’au fond de nous comme une force enflammée. »