L’envol ou le rêve de voler, une exposition testament pour un lieu magique.

Nous avions pris l’habitude depuis 2004 de faire confiance systématique à la programmation de la Maison Rouge qui nous réservait régulièrement et pour ses 131 expositions de toujours nouvelles surprises, des rapprochements d’œuvres fort cohérents autant qu’inattendus, à l’impact encore renforcé par des scénographies et mises en lumière d’une réelle inventivité. La tristesse de découvrir cette dernière proposition sur « L’envol ou le rêve de voler » est quelque peu atténuée par l’excellence de cette ultime exposition.

Antoine de Galbert a réussi à redonner en France toute sa noblesse à la passion de la collection, on garde en mémoire l’exposition inaugurale L’intime, le collectionneur derrière la porte qui réunissait plusieurs de ses confrères. Plus récemment c’est Marin Karmitz qui scénographiait sa collection photographique en dialogue avec ses sculptures primitives. Il a su aussi donner à voir des scènes artistiques éloignées comme celles de Johannesburg ou de Winnipeg ou donner à découvrir des artistes ignorés comme la peintre rom Ceija Stojka. Toutes les expositions ont manifesté un louable décloisonnement entre des œuvres relevant d’esthétiques diverses de l’art brut et des cultures populaires à toutes sortes de pratiques très contemporaines.

En même temps que cette dernière proposition Antoine de Galbert est aussi présent à Arles invité au Magasin Electrique pour accrocher ses 100 portraits où l’on trouve toutes sortes de variantes sur le visage et ses avatars avec des rapprochements singuliers :La comtesse de Castiglione dialoguant avec un petite fille de Roger Ballen par exemple, des personnages de la zone de Tchernobyl de Guillaume Herbaut , ou une série d’affiches dégradées d’Alain Bizos titrée Adieu Mao et encore Jonathan Monk et des faces au regard caviardé. On y apprécie encore une fois la présence d’Olivier Blanckart avec ses incarnations de célébrités pleines d’humour.

Pour mieux réussir son Envol Antoine de Galbert s’associe trois commissaires Barbara Safarova, Bruno Decharme, et Aline Vidal. Ensemble ils se sont mis d’accord sur des œuvres créées depuis le début du 20èmesiècle, sans hiérarchie de notoriété ou de valeur sur le marché de l’art, laissant l’évocation de la peinture ancienne, dans ses aspects mythologiques ou religieux aux textes du catalogue. L’aventure de l’aviation est aussi ignorée au profit de tentatives plus utopiques.

Cela nous donne ainsi accès aux œuvres bricolées par Gustav Messmer, chaussures à ressorts, vélo customisé maladroitement de voiles et d’ailes… Mais aussi à des formes mieux finalisées par Panamarenko ou Rebecca Horn. Parmi les pièces historiques que l’on pouvait attendre Le saut dans le vide, la photo d’Yves Klein, est bien présente mais elle est mise en perspective grâce une sculpture à performer par le visiteur l’Opus Incertum de Didier Faustino. De même les hommes oiseaux en bronze de Kiki Smith voisinent avec une sculpture en bois de Stephan Balkenhol, plus homme qu’ange malgré ses ailes.

Des domaines plus singuliers sont abordés avec des artistes médiumniques, d’autres liés au chamanisme, au spiritisme, tous explorent l’utopie, le rêve, la lévitation, les chimères, les anges, les contes et légendes mais aussi la science-fiction. Parmi eux l’univers si prégnant d’Agnès Geoffrey trouve sa juste place. Dans cette lutte contre la gravité la danse tient une place importante. L’humour n’est pas oublié grâce à la présence d’Urs Luthi et son tapis volant, jusqu’aux courtes vidéo de Roman Signer ou à La Sorciére échouée de Pierre Joseph.

Parmi les nombreux auteurs représentés deux découvertes au moins sont à noter avec la sculpture animée d’un moteur de Nicolas Darrot L’apesanteur dont les lettres mobiles laissent aussi lire cet anagramme « La peur sainte ». En noir et blanc les photos performatives de Lucien Pelen sont remarquables de distance ironique.

En attendant les nouvelles initiatives privées d’Antoine de Galbert il nous reste un peu moins de trois mois pour voir et revoir avec famille et amis les subtilités de l’Envol pour lire et relire les nombreux catalogues et publications annexes qui ont soutenu théoriquement ces initiatives si particulièrement efficaces pour la défense d’un art sans limites.