Pour ceux qui auraient manqué la passionnante relecture de l’Histoire de la mode et du costume au Musée des Arts Décoratifs par Christian Lacroix ou sa proposition plus radicale dans l’espace des Galeries Lafayette en dialogue avec son complice le sculpteur Daniel Firman, le passage par Arles avant le 14 septembre pour les Rencontres ou la fin octobre pour le Musée Réattu est indispensable pour comprendre combien l’art contemporain en général et la photographie en particulier ont besoin d’intermédiaires passionnés en quête de nouvelles séquences en recherche de sens.
Ces dernières années l’été arlésien n’offrait qu’une accumulation d’expositions hétérogènes où la branchitude le disputait à l’événementiel. Si un commissaire extérieur faisait une proposition que l’on pouvait espérer alléchante, l’ensemble sur place n’était jamais construit dans une recherche d’unité de pensée. D’où le grand plaisir éprouvé cette année. A partir d’un point de vue qui est à la fois celui de la photographie de mode et à la reprise et au détournement par des artistes de productions vernaculaires, ou que Bernard Lamarche-Vadel qualifiait même d’ustensilaires nous sommes appelés à une relecture des pouvoirs de la photographie aujourd’hui. Et cela joue entre les catégories et genres institués comme dans les rapprochements d’artistes développant un vrai projet mais ne faisant pas partie du gotha habituel de l’art contemporain, beaucoup de découvertes donc à faire.
Mais avant de les détailler attardons nous aux séquences révélant une vraie intelligence du medium. Catégorie portrait de studio, genre difficile s’il en est, on peut apprécier les écolières turques, sœurs ou jumelles biologiques ou apparaissant telles dans l’uniforme étatique dont l’anglaise Vanessa Winship a su capter la fragile dignité dans un noir et blanc accentuant l’héritage de Diane Arbus. Elles dialoguent les jeunes femmes de Calcuta victimes de divers sévices graves à qui Achinto Bhadia propose de revêtir un costume symbolique de leur choix révélant un autre moi où la photographie se fait résilience selon le concept du psychanalyste Boris Cyroulnik.
Le déguisement, le travestissement mis au service d’une critique légère et distanciée du colonialisme telle est la motivation des autoportraits de Samuel Fosso. Ici rapprochés de ceux de Pierre Gonnord influencés par la grande tradition picturale espagnole, jouant du clair obscur et d’une profonde dissymétrie des visages singuliers. Ces deux corpus se trouvent rapprochés de celui de Georges Tony Stoll lui redonnant une profonde exigence, loin de ses seuls effets de surface et pour tout dire de mode qui en ont parfois gâté la lecture. Le jeu des formes et des masques qui perturbe l’accès aux corps et au visages joue comme les images clichés chez Fosso ou les références à la peinture pour Gonnord.
Autre ensemble d’une belle cohérence constitué autour du dialogue entre l’artiste collectionneur Joachim Schmid et le vidéaste de l’intime Joël Bartoloméo qui joue avec brio de l’image d’actualité pour mettre en perspective la notion de fait divers. Chacune des photos abîmées de la collection récoltée dans la rue comme chaque image de presse agrandie nous entraîne dans une mini-fiction instantanée.
Symboliquement au cœur de la ville un ensemble d’images d’archives installe le lien entre Christian Lacroix et Arles dans des séries qui ne négligent ni le passé industriel de la ville, ni des épisodes moins glorieux comme le camp de Saliers réservé aux nomades, sans oublier ses figures liées à la création, Cocteau, Picasso ou à la tauromachie et à la culture gitane.
Entre art contemporain et mode la découverte de ces rencontres est sans conteste Grégoire Alexandre qui trouve ici, à côté d’autres ex-étudiants de l’Ecole d’Arles, sa reconnaissance. La richesse de son univers plonge à la fois dans le meilleur des installations et accumulations d’objets ou de signes auquel nous ont accoutumé les musées et aux coulisses de la mode qu’il détourne. Ses images jamais dépourvues d’humour utilisent un grand sens de manipulation des lumières les plus complexes pour mettre en scène des corps en déshérence.
Une autre bonne surprise se situe dans l’installation de la version féminine d’Ilia Khabakov, par les chambres russes, les Kommounalki de Françoise Huguier, qui sera cet automne l’une des directrices artistiques avec Marc Donnadieu, du Frac haute Normandie, du Mois Européen de la Photo à Paris.
Là où Christian Lacroix donne toute la mesure de son talent c’est dans l’appropriation complète des espaces et de la collection du Musée Réattu. Ce genre d’initiative de carte blanche totale, ce sont plutôt les pays du nord de l’Europe qui nous y ont habitué. On se souvient il y a deux ans des trois expositions confiées par les autorités culturelles de la ville d’Anvers à l’enfant du pays Jan Fabre qui intervenait au Musée Royal, au Musée d’Art Contemporain et à la Bibliothèque de la ville pour son projet « Homo Faber ». La proposition de la conservatrice Michelle Moutashar au couturier est du même ordre. La générosité du maître des lieux, la collaboration totale avec l’artiste est nécessaire à une telle réussite, les moyens techniques et financiers mis en œuvres sont aussi essentiels.
Parmi les artistes invités les photographes Véronique ELLENA et Guillaume JANOT, produisent de nombreuses pièces qui dialoguent avec les œuvres historiques, les salles du musée et leur perspective sur le Rhône. L’une des découvertes est la plasticienne anglaise Katerina JEBB pour son travail au scanner et à la photocopieuse couleur, mais surtout pour ses excellentes vidéo, mystérieuses et sensuelles, la lumière y sculpte un corps-image qui ne prend jamais une forme arrêtée mais reste dans la mouvance de la découverte d’où naît le désir. Si cela permet à l’artiste de produire des moquettes pour certaines salles refondées entièrement c’est cependant moins important que l’intelligence des œuvres qui redonnent à lire aussi bien les grisailles, les dessins ou peintures de Réattu, qui dialoguent avec les Picasso ou avec les œuvres historiques et contemporaines de la collection photographique, une des premières rassemblées en France, mais aussi avec le seul département son permanent, mis en place avec Phonurgia Nova.
Les déclinaisons thématiques autant que de purs rapprochements plastiques à travers des genres différents et les siècles nous ravissent et nous surprennent, leçons de sens à retenir, dans une audace où la vie des œuvres, leur renaissance parfois, questionne notre propre interrogation sur la vie et la création.