La critique en œuvres d’Ugo Mulas

Sous le titre d’une grande simplicité « La Photographie. Ugo Mulas » le Point du Jour Centred’artEditeur produit la version française du livre publié en 1973 par Einaudi qui montre l’importance de cet auteur italien pour les liens entre la production argentique et l’art contemporain. Dans un faux carré ce livre à couverture rigide reproduit en trichromie plus d’une centaine d’images pour accompagner l’exposition éponyme présentée à Cherbourg et reprise en ce début d’année à la Fondation Henri Cartier-Bresson.

La photographie italienne a mis un certain temps à être reconnue dans le reste de l’Europe et notamment en France et il est étonnant de voir qu’il a fallu attendre l’exposition « Qu’est-ce que la photographie ? » en 2015 au Centre Georges Pompidou pour que son œuvre majeure Les Vérifications soit présentée à un grand public. Cet autodidacte né en 1928 et décédé dès 1973 fait partie de cette génération où se sont illustrés ses contemporains Franco Vaccari , Luigi Ghirri et Paolo Gioli qui partagent une même interrogation sur les pouvoirs du médium.

Alors qu’il a pratiqué la photographie de théâtre auprès de Giorgio Strehler ainsi que la mode et la publicité son œuvre se révèle puissante dans les liens très proches qu’il va installer avec les plus grands artistes internationaux. L’auteur a organisé son livre en chapitres liés à sa pratique d’observateur des arts de son époque le premier nous entraine à « New York en 1964,65 et 67 » aux côtés de Marcel Duchamp et Barnett Newman. Les suivants déclinent sa pratique auprès des peintres et sculpteurs dont il observe « le comportement », « le matériau », « l’attente » ou « le rituel ». Chaque partie s’ouvre sur un texte de témoignage de l’auteur qui y détaille sa pratique, cherchant « Un point de vue optique mais surtout mental » sur l’œuvre il avoue quant au créateur :
« Ce qui m’intéresse, c’est de donner une idée du personnage par le résultat de son travail ; en d’autres termes, comprendre lesquels de ses gestes et attitudes sont déterminants quant au résultat final. » Il y réussit parfaitement dans le focus qu’il consacre à « L’amitié » qu’il établit avec Calder.

Photographe de la Biennale de Venise de 1954 à 1972 il nous en montre les ambiances, les personnalités tel Max Ernst se rendant sur le vaporetto aux Giardini, Giacometti installant ses sculptures d’hommes qui marchent , il évoque aussi en une dernière image l’édition de 1968 avec un peintre évacué manu militari sous les arcades du café Florian, sur la place Saint Marc.

Le livre s’ouvre sur la première des Vérifications « l’Hommage à Niépce » une planche contact d’une pellicule vierge dont seule l’amorce blanche laisse place à une entrée en la matière lumière de la photographie. La 12e et dernière image de la série , dédiée à Marcel Duchamp voit l’artiste briser le verre posé sur la même image pour la « Fin des Vérifications ». Entre temps chacune d’entre elles à exploré avec habileté, un certain humour et une vraie distance critique chacun des paramètres de l’action de réalisation d’une image argentique et les conditions de sa production et même de sa réception.

Loin d’être froidement théorique cet ensemble manifeste au contraire une réelle sensibilité qui se manifeste notamment dans l’Autoportrait avec Nini l’épouse de l’artiste photographiée à ses côtés très nette quand lui demeure flou, sachant que cette série a été produite à la toute fin de sa vie alors qu’il luttait contre la maladie qui l’emporta on peut rapprocher cet autoportrait de celui de Robert Mapplethorpe avec sa canne à pommeau tête de mort. Ayant retenu les leçons de ses amis artistes il les applique à sa propre recherche d’une photographie consciente de ses pouvoirs et de ses limites.