Vers les années 1990, chercheurs et innovateurs ont annoncé que de nouvelles technologies allaient bouleverser de fond en comble le domaine de la photographie. De nouveaux systèmes de prise de vue, d’élaboration et de support de l’image photographique occasionneraient des mutations radicales en ce qui concerne le statut de l’objet « photographie ».
Au vu des expositions de matériel photographique de l’époque, les indices que ces prévisions se réaliseront s’accumulent, un fait qui permet de dire que l’archéologie de la photographie est d’ores et déjà une réalité, tout du moins de la photographie formée pendant un siècle et demi. Ainsi, l’œuvre de Nelly’s pourrait constituer, dans l’avenir, un des premiers chapitres de l’Archéologie de la photographie grecque.
1) Témoignages
Elefthérios Venizélos (1864 – 1936), l’homme politique grec considéré, dès 1921, comme le « fondateur de la Grèce moderne » désigne Elli Sougioultzoglou-Seraidari (1899- 1998) mieux connue sous le nom de Nelly’s, « femme artiste ». Kostís Palamás (1859-1943), poète grec considéré comme le plus important de sa génération, remercie Nelly’s « de lui avoir fait honneur de manière artistique avec ses belles images » et l’écrivain, historien, universitaire, avocat, poète et membre de l’Académie d’Athènes Dimítrios Kamboúroglou (1852 – 1942) qualifie Nelly’s de « main magique qui donne forme aux effigies photographiques des personnes et des choses ».
Tous les trois s’accordent pour attester que Nelly’s, dans les années 1920-1930 n’a, bien sûr, pas inventé la photographie mais a tenté quelque chose de quasiment équivalent : elle a créé la production d’œuvres photographiques qui peuvent soutenir la désignation de photographies artistiques, d’objets esthétiques, disposition capable de retenir dans toute sa densité le jeu du visible et de l’invisible, de la présence et de l’absence. Avec rigueur et génie, Nelly’s va fixer sur image des visages, des corps, des objets, des œuvres architecturales et des paysages de la Grèce des années antérieures à la Seconde Guerre mondiale. Son travail a abouti à constituer une innovation relative à la question-clef fondamentale (pour les photographes) : « Quelles situations méritent d’être fixées sur le papier photosensible et de quelle manière – en particulier quand le photographe utilise la lumière qui se diffuse au-dessus du pays grec et s’y mesure. »
« Une exposition constitue toujours une ‘exposition’ » du point de vue technique, vu que Nelly’s réalisait elle-même ses tirages, et se trouve nécessairement dans une relation métonymique avec l’œuvre de
l’artiste. Dans le meilleur des cas, elle permet de démontrer des périodes, des aspects, des étapes, des quêtes particulières, et dans le pire des cas elle revendique de la « représentativité ». La première exposition importante de Nelly’s de l’après-guerre (Fondation Moraitis / Société d’études de la culture grecque moderne et de l’enseignement général, 1987 https://dagrafiotis.com/ ?p=415&lang=en ) comporte des photographies de la période 1920-1940 (voir les notes en fin de texte) où l’on peut détecter ses aventures et ses conquêtes dans le domaine de l’art de la photographie, sans toutefois revendiquer de couvrir toutes ses préoccupations et réalisations. Dans une première description, il serait possible de dire que l’art photographique de Nelly’s ressemble à une exploration anthropologique/anthropogénique, dans la mesure où la photographe tente de composer et d’associer des gestes, des visages, des paysans, des objets, des éléments architecturaux, des souvenirs et des espoirs. Néanmoins, ses clichés ne s’épuisent pas dans l’imitation d’une quelconque réalité mais revendiquent le rayonnement direct de l’œuvre d’art. Elle ne se limite pas uniquement à communiquer des souvenirs, mais cultive en même temps les conditions qui président à la genèse des réminiscences, individuelles ou collectives.
L’œuvre photographique de Nelly’s dans sa totalité constitue le point de départ de la photographie Grecque aussi bien qu’une version, une contribution et une conception intéressante pour la photographie internationale. Dans la production artistique au niveau mondial, les prémisses du roman japonais représentent un cas analogue. Aux environs de l’an 1000 de la chronologie occidentale, Murasaki Shikibu, (v. 973-v. 1014) dame de la cour du milieu de l’époque de Heian, introduit pour la première fois dans la littérature japonaise le « roman ». Pour beaucoup, il s’agit même du premier« roman psychologique » au monde. Tout au long des 4’234 pages de son livre « Le Dit du Genji », elle dépeint les instants de la vie quotidienne, les sentiments et les pensées des personnages, elle décrit la vie de Genji, le fils de l’empereur, poète accompli et charmeur de femmes, ses aventures érotiques et sentimentales ; bref, elle formule des jugements et des réflexions sur la condition humaine. « Genji monogatari » ou « Conte du Genji », texte-origine, a constitué et continue d’être considéré un modèle, un point de repère et un phare pour les écrivains japonais. Le livre se présente comme une proposition, sans pour autant revendiquer l’appellation de « contribution féminine », d’« écriture féminine » ou encore de « proposition féministe ». Une démarche courageuse, un résultat méritoire et finalement, une contribution essentielle à la littérature. De façon semblable, Nelly’s ose les premiers gestes et les premiers actes qui vont étayer l’art photographique grecque, et en devient ainsi le précurseur comme l’a été Murasaki Shikibu pour la littérature japonaise ou Giotto pour la peinture de la Renaissance.
Parmi les membres de nos sociétés actuelles, nombreux sont ceux en proie à la peur de l’usure, de la perte, de l’oubli car dans notre monde contemporain, la discontinuité et la quête de l’innovation prévalent. La photographie, dans la mesure où elle retient des fractions de temps et des fragments de réalité constitue à la fois un mécanisme d’enregistrement de la succession impitoyable des choses et un dispositif pour en retenir les impressions. Lorsqu’elle sillonne l’espace rural dans des conditions défavorables et difficiles, et capte des scènes, des évènements et des situations, ou lorsqu’elle photographie ses clients dans son studio de la rue Ermou au centre d’Athènes, ou encore lorsqu’elle réalise des photographies en tant que photojournaliste-reporter et surtout lorsqu’elle accompagne Dimitrios Kambouroglou dans ses pérégrinations au cœur de la ville et de l’histoire d’Athènes, Nelly’s fournit un contre-poids à la Grèce de l’entre deux guerre qui est en train de disparaitre.
De cette manière, elle accumule des archives, un large éventail de représentations pour de futurs archéologues, historiens et sociologues de la vie en Grèce. Toutefois, ces représentations sont à placer également dans la perspective d’une continuité culturelle, ce qui les converti en témoignages – propositions. Nelly’s a la certitude que les choses se transforment tout en étant traversées par les constantes formées par les anciens Grecs. A une époque qui donne la primauté à la rupture et à la différence, le point de vue de la continuité latente apparaît incontestablement en tant qu’idéologie, comme un défi venant d’une autre époque. En dépit de toutes les réserves que nous pourrions formuler actuellement, Nelly’s a soutenu par son œuvre la continuité et l’a cherchée principalement dans les formes humaines. Une continuité presque raciale, biologique, vestige du 19ème siècle rendue par une écriture photographique du 20ème. Une consolation face à la détérioration, une compensation bien maigre et théoriquement non fondée. Une tentative presque désespérée d’articuler l’éternel et l’éphémère.
2) Multiplicité
Elli Sougioultzoglou quitte l’Asie Mineur pour l’Allemagne afin d’étudier à Dresden le piano et la peinture. C’est finalement le monde de l’art photographique qui va la conquérir et elle va acquérir une solide connaissance des procédés techniques concernant la prise de vue, le processus du développement des négatifs et le tirage des photographies. Sa formation technique parfaite est l’un des facteurs fondamentaux qui expliquent la multiplicité de l’expression de Nelly’s, l’autre – et peut-être le plus essentiel – étant, selon elle, « le désir de produire des photographies, de rivaliser avec ses pairs et de dépasser ses maîtres célèbres ».
Nelly’s est considérée pour sa multiplicité d’expressions du fait qu’elle varie ses sujets : portraits, paysages, nus, éléments architecturaux, documentation de lieux et de scènes de la vie sociale, photographie publicitaire, collages. Elle expérimente avec les angles de prise de vue, l’élaboration et la qualité du papier-support photosensible à l’image photographique et des techniques de développement des films. Elle travaille aussi bien en studio qu’en plein air, est à la recherche de nouveaux genres d’équipement, ne cesse de se tenir au courant des évolutions techniques et n’hésite pas à suivre des cours de photographie lorsqu’elle se retrouve bloquée à New York après le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Parallèlement, elle continue à peindre sur toile et à fabriquer des peintures sur porcelaine. Etudes et pratique pour rester en « pleine alerte photographique ».
3) Continuité
Certains ont qualifié le travail de la photographe de voyage -péripétie avec la lumière, d’expérimentation continuelle et de lutte avec l’invisible. Quel que soit la qualification que l’on considère comme la plus juste, cette démarche se trouve fréquemment assujettie à l’exigence de « l’innovation » et de « l’originalité ». Le primat du thème, de la maitrise de la technique, de l’utilisation du matériel, tout cela constitue une concurrence sans fin. Nelly’s revendique quelques innovations, tout du moins dans le cadre de l’histoire de la photographie grecque, comme il en est par exemple de ses clichés de paysages, de son travail sur le processus Bromoil (en couleur ou en noir et blanc), de ses
photographies du Parthénon, des Caryatides, de l’Erechthéion. Elle revendique surtout le titre de première photographe grecque à s’être efforcée d’explorer le potentiel de l’art de la photographie en rapport avec « le cas grec ou le trajet civilisationnel » : activités, évènements et détermination culturelles. Lui décerner aujourd’hui le titre de pionnière est une chose facile, mais il ne faut pas omettre de souligner que certaines de ses initiatives créèrent le scandale à son époque, telles que les images des danseuses nues sur le site sacré de l’Acropole ainsi que la mise en parallèle de portraits de personnes et de statues qui soulignent la continuité bio- tribale de la nation grecque. Aujourd’hui, nombres de photographes ont imité certains de ses clichés de monuments, mais la saturation du marché donne à ses premières photographies originales un caractère d’évidence, de superflu. Si dans notre pays la coutume de la remise de prix pour les artistes existait de manière officielle, comme cela est le cas au Japon, c’est à Nelly’s que reviendrait certainement le titre de « Maître photographe ».
L’étape la plus marquante de la production photographique de Nelly’s sur un plan esthétique a pris forme en Grèce, une grande part de son travail photographique étant consacrée à l’exploration de la continuité de la Grécité. Ainsi, elle retrouve dans les visages des paysans de son époque, des figures des anciens Grecs et en associant ces portraits avec les photographies de représentations de la Grèce antique (vase et amphores, bas-reliefs et sculptures) elle contribue au débat sur la « continuité du peuple Grec ». De nos jours, il semblerait que cette tentative relève d’une problématique dépassée ou d’une pseudo-problématique. Néanmoins, les paysans, les scènes de la vie rurale, les personnages et l’environnement sont rendus avec le respect de leur particularité sans aucune trace d’un embellissement ou d’une idéalisation naïve. Le regard doux et tranquille de Nelly’s est en fait la conséquence des normes esthétiques qu’elle applique.
Si l’on tient compte des difficultés de l’époque pour voyager, du maque d’infrastructure hôtelière dans les régions rurales de la Grèce de l’avant-guerre ainsi que du fait que ce soit une femme photographe qui prenne l’initiative d’approcher les habitants de la campagne, et si de plus on prend en considération le fait qu’elle ait travaillé en tant que photographe professionnelle dans son propre studio athénien contribuant ainsi à bousculer la tradition qui veut que la photographie soit une activité essentiellement masculine, alors son travail photographique constitue un apport non seulement artistique mais aussi social et culturel en relation au statut de la femme dans la Grèce moderne. L’œuvre de Nelly’s se présente d’une part comme discontinuité en ce qui concerne la tradition jusqu’à la limitée de l’art photographique mais cultive d’autre part l’idéologie de la « continuité historique des Grecs ».
La photographie est un art européen. Ce constat ressemble à un slogan, chaque mot renvoi à une diversité de réalités. Néanmoins, dans la production de la composition photographique, un ensemble de conquêtes culturelles du vieux continent sont obligatoirement combinées et articulées, tel que la géométrie, la perspective classique, l’exigence de l’imitation et de la représentation d’objets et de situations, de mécanismes et d’instruments de précision.
A chaque époque, l’acte de photographier en Grèce reformule la problématique de la place que tient ce pays dans « l’Europe des représentations ». Les œuvres de Nelly’s constituent une « thèse » sur les limites sans cesse mouvantes entre la perception photographique et la transparence de la réalité grecque durant l’Entre-deux-guerres, à savoir les limites entre le visible, le reconnaissable, le digne d’être photographié, l’essentiel d’un point de vue photographique et l’admissible sur un plan socioculturel.
4) Les Nus
Dans la tradition de la peinture figurative européenne, le nu en tant que représentation et en tant que référence est appelé à contribuer aux objets de collection ainsi qu’à la notoriété du « possesseur ». C’est-à-dire que le tableau fonctionne comme un signe qui démontre l’aptitude du collectionneur à sélectionner des objets de valeur – parmi lesquels pourrait se trouver aussi le Modèle, réel ou imaginaire –en tant que « propriétaire ».
La mise en scène du nu dans la peinture européenne crée l’occasion d’une parade de la beauté qui réifie et donne son caractère au corps nu féminin.
Les motifs et les thèmes sont le plus souvent tirés de la mythologie européenne où grecque ( « La Naissance de Vénus » (Botticelli), « Vénus endormie » (Giorgione), « Suzanne au bain » (Tintoret, Rembrandt) « Le Jugement de Pâris » (Rubens))
Dans certains tableaux où co-existent le corps nu de la femme et celui habillé de l’homme, la façon dont ils sont disposés dans la composition picturale sous-entend et insinue que le regard est de genre masculin puisque le corps nu féminin se trouve être le point de l’attention du spectateur ainsi que des
« mâles actants » du conte figuratif.
La représentation d’un seul des deux genres ou la focalisation sur la femme véhicule la perception selon laquelle la relation érotique tourne autour d’un seul pôle. Le corps féminin est offert, exhibé en tant qu’astuce de provocation, d’invitation et de tension et non pas comme une condition pour cultiver une relation érotique (à deux).
La photographie hériterait-elle de la tradition que la peinture a abandonnée ? Se limiterait-elle à réactiver des conventions qui ont fonctionné en tant qu’écrans trompeurs de l’érotique et du social le long de ces derniers siècles sur le vieux continent ? Ces deux questions, parmi d’autres assurément, nous guettent dès l’instant où le photographe prend la décision de cultiver le thème du nu. Avec deux de ses séries de photographies, Nelly’s évalue les limites des deux interrogations précédentes. La première série a été réalisée au début des années vingt en Suisse saxonne et comprend des photographies de danseuses du ballet moderne de Mary Wigman, tandis que la deuxième réalisée en 1927 comprend des photographies des danseuses Mona Paiva (originaire de France) et Jelizaveta Nikolská (originaire de l’URSS) sur le site archéologique de l’Acropole à Athènes. Dans les deux cas l’appareil photographique capte les corps féminins sans aucune autre présence humaine. Les corps ne sont pas placés pour exhiber leur nudité, ni pour montrer qu’ils se soumettent aux préférences sexuelles de l’époque mais ils se trouvent saisis entre mouvement et immobilité pour éviter l’impression de la prise de vue d’une performance chorégraphique. Nelly’s met l’accent sur la disposition combinée des corps, des objets, des paysages et sur leurs recompositions selon les tressaillements du regard et des fantasmes.
Les mouvements, les vêtements, la relation du nu avec l’espace, les tonalités, les signes, l’architecture de l’image, tout cela ravive souvenirs et visions et fonctionne comme prétexte à l’exercice du regard. Il s’agit presque d’un désaveu de l’érotique et en même temps d’une cultivation d’une discipline figurative.
Les « nus » de Nelly’s, c’est-à-dire l’articulation à l’aide du processus photographique extrêmement sévère et contrôlé des points noirs et blancs sur la surface plane du papier avec comme prétexte le corps nu féminin, concentrent le regard sur la formation des significations et montrent des voies sûres de jouissance figurative.
Dans cet esprit le regard photographique de Nelly’s cesse d’être féministe ou d’une dimension uniquement féminine et acquiert la caractéristique d’une proposition photographique pleinement féminine et masculine à la fois.
5) Les Caryatides
Les photographies qui ont été imprimées avec comme sujet l’Acropole doivent probablement être innombrables. Professionnels et amateurs ont exploré les angles de prise de vue, les heures de la journée, les saisons, les techniques et les astuces.
Et pourtant les photographies de Nelly’s qui ont pour thème le Parthénon, l’Érechthéion et les Caryatides témoignent du soin et de l’attention apporté pour que la prise de vue ne soit pas juste une représentation du monument mais une occasion pour le regard humain de reconnaitre son universalité de pair avec la particularité de l’acte photographique. Le cliché « Les Caryatides avec le petit nuage du ciel de l’Attique » atteste de l’attitude de la photographe et de son désir de rendre sans trahir.
Pour obtenir ce regard singulier sur ces monuments et en particulier sur celui des Caryatides, Nelly’s a recherché un emplacement où personne jusqu’à ce jour-là n’avait posé l’objectif de l’appareil photo. Et ce lieu, elle l’a conquis en posant son pied dans un trou du mur de l’Érechthéion pour se hisser en hauteur soutenue par son précieux compagnon Georges Seraïdaris. Se basant ainsi sur ces deux « appuis » elle propose grâce à une approche corporelle un autre angle de vision du thème tellement courant des Caryatides, lançant ainsi un défi aussi bien aux photographes qui l’ont précédée qu’à ceux qui lui succèderont.
6) Les Portraits
Le cinéaste italien Federico Fellini, une fois avoir accumulé d’énormes archives de portraits photographiques, a déclaré que « les visages se perdent, seuls les stéréotypes des magazines se reproduisent ». Après avoir réussi à se débarrasser du poids de la tradition, les résidents des sociétés industrielles sont conduits vers une nouvelle domestication pour autant qu’ils suivent certains modèles – à l’échelle presque internationale – que leur propose et leur impose l’industrie culturelle. Les portraits de Nelly’s, qu’ils renvoient à des noms de la politique, des arts, de la vie sociale, ou à des personnages anonymes issus principalement de la campagne, permettent à des existences humaines d’imposer leur unicité par le biais de l’objectif de la caméra. Les individus formulent des revendications et la photographe répond au désir d’être unique. Chaque visage correspond donc à une personne en
particulier et les photographies de Nelly’s viennent ainsi confirmer la réciprocité avec leur propre possibilité d ‘expression.
Nelly’s a photographié des personnes et des personnalités c’est-à-dire des protagonistes de la vie politique, littéraire, mondaine et sociale grecque et internationale. Parmi le défilé des célébrités et des gens communs, des connus et des inconnus qui ont été saisi par l’objectif photographique de Nelly’s, on peut distinguer sa déontologie professionnelle : approche essentielle de l’individu, création d’une relation réciproque et définition du détail qui conduira à la découverte – révélation de l’autre. Sans se plier aux critères de la figuration photographique, Nelly’s esquisse, commente et atteste.
La focalisation de Nelly’s sur la personne lui permet d’explorer la condition humaine spécifique et non pas juste reproduire un masque ou une attitude conventionnelle devant l’objectif.
L’arsenal d’outils utilisé pour l’exécution de ces portraits semble être inépuisable comme, par exemple, la position du visage sous différents angles par apport à la caméra, les éclairages, l’orientation du regard, le « naturel » face à l’objectif et les degrés d’accomplissement-performance des détails.
Nelly’s racconte que, après son retour d’Allemagne à la fin des années vingt, le problème le plus important qu’elle a dû affronter fut celui de la lumière grecque, celle-ci n’ayant pas du tout la même texture que la lumière allemande avec laquelle elle s’était initiée à l’art de la photographie. Vu qu’à l’époque, la standardisation des produits et la variété de matériels n’existaient pas sur le marché grec, la production de compositions photographiques exigeaient une maîtrise absolue de l’aspect technique de la photographie. L’on considère fréquemment que la photographie n’est que de la lumière prise au piège en vue de l’imitation/mimésis figurative. La « définition » sous-entend que la lumière fonctionne comme une donnée relativement stable pour définir l’outil photographique. De ce point de vue, l’œuvre de Nelly’s peut être qualifiée d’exploration de la lumière grecque. L’affrontement direct avec la matérialité de la lumière ne trouve pas seulement sa raison d’être dans le but d’embellir la réalité, dans le but d’en rendre la géométricité par apport à la perception optique, ou de montrer le jeu infini de la lumière, de l’ombre, du blanc, du noir et du gris mais de plus dans la tentative de fixer l’éphémère, de produire par la photographie une version de la réalité grecque.
Les exemples qui suivent ainsi que toute l’œuvre de Nelly’s en tant que portraitiste constituent des preuves admirables que la pellicule, dans sa logique du noir et blanc peut saisir l’inimitable, l’unique de l’existence humaine et en rendre les nuances les plus fines.
Eleftherios Venizelos est photographié assis, avec les mains posées calmement, le sourire et le regard tournée vers le spectateur créant ainsi le sentiment de la force tranquille, de l’accueil dans un monde de qualité méritante.
Kostís Palamás avec le regard asymptote à celui du spectateur contemple la destinée des hommes et semble absorbé par une voix dont seuls les échos apparaissent sur son front éclairé, ses rides et sur l’ombre d’un sourire qu’on entrevoit à travers sa barbe. Le spectateur ne communique pas avec le poète mais il ressent néanmoins sa présence indélébile.
Madame Dendrami, épouse de Vassili Dendramis, Ambassadeur grec aux Etats Unis offre son dos aux spectateurs, son regard plein d’assurance est tourné vers un point extérieur à la photographie tandis que son nez se dresse comme un signe de son rang social confirmé par les bijoux qu’elle porte.
L’éclairage et la place qu’elle occupe dans le cadre photographique obligent le spectateur à reconnaitre la position de pouvoir social et autre qu’occupe l’Ambassadrice.
Le célèbre médecin-chercheur Georgios Papanikolaou semble absorbé par ses pensées, comme s’il venait d’interrompre ses recherches en cours pour accorder quelques instants à la photographe et au spectateur. La présence discrète des livres, la façon de tenir ses lunettes et la position du corps inspirent des sentiments de sécurité concernant le pouvoir du savoir scientifique et l’importance du dévouement au bien de l’humanité.
Aussi bien les « Athéniennes inconnues » des années 20 que la « Crétoise » de 1939, quoiqu’elles diffèrent dans l’habillement, les mouvements, les expressions, les gestes, les regards, la pose devant l’objectif font toutefois preuve de la même intensité en ce qui concerne ce qu’elles désirent être et de la même sûreté dans leurs choix et leurs expériences.
7) Appréciation
Toute photographie a comme ambition d’enrichir le « patrimoine culturel ». Le terme a été tant de fois employé qu’il en parait un lieu commun ou bien sous-entend une idée de « décadence ». Les photographies de Nelly’s contribuent sans l’ombre d’un doute à la délimitation de ce qu’est la tradition culturelle, mais leur apport principal peut être apprécié dans le renforcement du capital imaginaire de la société grecque contemporaine. Nelly’s, par son œuvre, recommande à ses compatriotes de coexister avec les choses de manière consubstantielle. En d’autres termes, la photographe ne prétend pas offrir une lecture systématique et complète de la vie grecque, premier pas sur le chemin de la connaissance du devenir socioculturel. Elle se limite simplement à restituer, en images photographiques, les tentions que soulèvent la coexistence et la relation entre hommes, inventions matérielles et paysages.
Et pour conclure, si l’on se laissait entrainer ne serait-ce qu’un instant par la vénération de l’antiquité chez Nelly’s, on pourrait se demander : « Qui aurait été Nelly’s si elle avait vécu à l’époque de la Grèce antique ? » La réponse serait très simple : Prêtresse de celui qui est responsable de l’alternation du jour et de la nuit, celui qui règle le cycle du soleil, qui permet la présence de la lumière, qui protège la poésie, qui conduit les neuf muses, Apollon, Dieu des arts, du chant, de la musique, de la poésie et de la lumière.
Mais laissons les dieux et les ombres à leur éternité et notons simplement que Nelly’s a pris soin de convaincre ses spectateurs que le visible est digne d’être servi et glorifié et que la discipline du regard photographique peut aller de pair avec le soin des détails, le souci de la réalité et la cultivation de la passion.