Le titre et la nature de l’exposition que Pierre Ardouvin présente au Centre de Création Contemporaine -CCC- entretiennent, comme souvent pour l’artiste, un rapport étroit. Forme de désenchantement mental sur fond d’arpentage par le corps, La maison vide d’Ardouvin offre l’expérience d’un malaise. Une sorte de trop-plein sensitif, à parcourir une installation à la sobriété inversée par rapport aux émotions équivoques qu’elle procure.
On y pénètre par une cloison blanche sans porte, faite dans un matériau composite en bois de rénovation intérieure, comme on en voit partout. Se retrouve là le recours à des matières simples voire pauvres, très quotidiennes. Cette première étape passée, on enchaîne très vite d’autres cloisons, identiques en tous points, neutres, à ceci près qu’elles sont posées de biais, penchées, instables. Plusieurs de ces parois se côtoient, forment des angles dans l’espace, invitant le visiteur à choisir quel passage prendre pour poursuivre son chemin.
Le son, qui a une dimension importante dans le travail de l’artiste, joue son rôle. Quelque part autour de nous, le bruit de portes qui claquent interroge sans réponse la béance des cloisons. A sillonner ce faux labyrinthe, car il ne s’agit pas tant de se perdre physiquement que de provoquer une errance très momentanée, le visiteur ressent d’abord le sentiment de jouer, de s’amuser au stratagème bricolé d’Ardouvin. Il suffit de croiser quelque visiteur en train de déambuler pour être aussitôt surpris de le voir surgir ici ou là. L’impression d’une action en miroir est saisissante, comme dans une sorte de Palais des glaces où l’illusion se joue des sens de l’appréhension.
Ce qu’il faut souligner ici, c’est la manière – assez récurrente chez Ardouvin – dont il fait coïncider économie de moyens et sophistication. L’exposition ne tient qu’à ces modules d’une banalité telle qu’ils font forcément écho à notre mémoire collective et individuelle de lieux habités, traversés, fréquentés. Mais ces modules sont agencés, inclinés avec un tel souci de précision que le tout bascule dans une grande justesse de l’effet produit. Peu à peu, le jeu du dédale et du cache-cache – à mi-chemin entre Les Aventures d’Alice… et le De l’Autre côté du miroir de Caroll – se mue en paysage du semblable bizarre et un peu angoissant. Car finalement, où cela nous mène t-il ?
Ainsi qu’il l’a déjà réalisé dans des œuvres telles Nasseville présentée au Palais de Tokyo en 2003 ou Au théâtre ce soir présentée à Art Basel en 2006, Ardouvin plonge et enferme les visiteurs au sein de l’œuvre. Une forme de piège car ici, en explorant, ils se regardent autant que l’environnement dans lequel ils évoluent. Ils font corps avec lui, en participent. Ce renversement de la notion spectacle-spectateur annule la possibilité d’un point de vue avec de la hauteur, englués que nous sommes dans des chemins qui se subdivisent à l’infini pour ne déboucher que sur le recommencement du même.
Le parcours ne créée pas de perspective, d’horizon qui se dégage. Il s’agit plutôt d’une boucle aux méandres hypnotiques qui nous fait – au sens propre comme au figuré – tourner en rond. Ce paysage construit, qui met en avant ses ouvertures pour masquer son caractère fermé, bouclé, ne nous mène effectivement nulle part. L’expérience, où la dimension festive s’est transformée en cauchemar soft, nous renvoie à nous-mêmes, à la seule réalité de notre intérieur, intangible malgré les portes qui se ferment avec fracas. Assez vite, on revient plus ou moins à son point de départ, vaguement nauséeux, victimes d’une perte des repères spatiaux habituels, plongés dans un environnement d’où l’orthogonalité a été chassée au profit de l’oblique. Malmenés après avoir eu envie de se distraire, un sentiment de solitude exacerbé fait rapidement suite au constat du caractère dérisoire des choses. On se retrouve désorienté, pour de bon face à soi. Fini de jouer, par ici la sortie.