La sensualité pop des créatures d’Alina Szapocznikow

L e Wiels se donne le prétexte de la présidence polonaise au Conseil de l’Europe pour une collaboration avec le MOMA de New York et quelques autres musées américains. Il s’agit pour ces institutions de remettre à leur juste place les recherches de la sculptrice Alina Szapocznikow qui de 1955 à 1972, date de sa mort prématurée, a mené une expérimentation singulière autour du corps féminin.

Sur les trois niveaux de l’ancienne brasserie les deux commissaires, d’origine polonaise elles aussi , Elena Filipovic et Joanna Mitkonska, ont réuni plus d’une centaine d’oeuvres, dessins, photographies et sculptures d’une grande force. Bien que les dessins préparatoires aux sculptures soient les plus nombreux tous ont une qualité graphique dont le trait dénonce les tensions internes et les contraintes sociales.

Les photographies elles aussi accompagnent les préoccupations des réalisations en trois dimensions. Observant par hasard la matière des chewing-gums et leur malléabilité elle en organise la plasticité en des cadrages serrés pour des tirages aux nuances subtiles de gris moyens.

Mais ces pratiques restent du côté de l’exercice réussi quand les premières sculptures malgré un certain classicisme donnent au corps féminin des élancements audacieux et des grâces inédites. La fusion parfaite se trouve réalisée lorsque au milieu des années 70 elle abandonne le bronze trop froid pour allier le marbre et les moulages en résine. Un autoportrait de 1968 en témoigne : le marbre blanc donne volume et sensualité à la poitrine tandis que dans la transparence circulaire de la face le carmin de la bouche annonce baiser ou cri.

De la même période une autre sculpture de marbre seul superpose de petits ventres, qui détachés de la fonctionnalité du reste du corps, hésitent entre sensualité et refus du seul horizon de la maternité. Dès lors l’ensemble de la production rejoint l’esthétique la plus engagée d’un féminisme vécu non comme une posture mais bien comme un chemin de vie.

Certaines pièces qui utilisent le caoutchouc noir montrent une autre topologie d’un corps purement organique. Les territoires intimes de la sexualité y sont cernés selon d’autres régimes de fonctionnement plus individuels que sociétaux. Dans une autre installation les ventres se multiplient encore et se trouvent confrontés à une série de pistils qui évoquent les floraisons phalliques de l’artiste japonaise Yayoi Kusam qui exerce à la même période.

On peut être tenté de rapprocher l’artiste polonaise des tenants du pop art ou de leur équivalent français des nouveaux réalistes. Elle en a connu et fréquenté les membres en même temps que leur critique Pierre Restany qui s’est intéressé à sa production. On sait que le mouvement était essentiellement masculin et ce n’est pas un hasard si la seule femme associée a cru bon de prendre le pseudo ironique de Nikki de Saint Phalle.

Alina , bien qu’elle fut la seconde épouse de l’immense graphiste Roman Cieslewicz et qu’elle résida à Paris resta solitaire et sa reconnaissance vint d’abord de son pays. Il est dommage d’ailleurs que cette grande rétrospective ne soit pas présentée en France.

Une se ses singularités fut d’allier cette exigence d’une radicalité corporelle à la séduction d’objets courants repensés dans ce qu’on appelait pas encore à l’époque le design mais qui en cherchait d’autres fonctionnalités. Ainsi ses moulages de bouche ou de seins se font lampe ou fleur vénéneuse. Et les éléments de la séduction féminine deviennent partie prenante d’un eat art sexualisé antérieur à celui que Spoerri a défendu dans sa version masculine ;

A aucun moment ces parti-pris qui pourraient apparaître décoratifs ne priment sur la violence revendiquée d’un corps qui se dévoile dans son intériorité la plus extrême, dans sa sensualité la mieux plastiquement affirmée.