Le formidable essor de la photographie en résidences

Pour témoigner de la vitalité de la photographie en France, rien de tel que de rassembler ses plus dynamiques acteurs en régions. C’est l’une des tâches que se donne le réseau Diagonal et ses actuels 16 centres présents sur tout le territoire. Une exposition au Pavillon Carré de Baudouin témoigne de la diversité des productions réalisées lors des résidences. Confiées à la commissaire suisse Nathalie Herschdorfer elles font l’objet d’un accrochage très à l’écoute des œuvres.

Dans un genre aussi convenu que le portrait il est heureux de se laisser surprendre par l’empathie de la relation la plus proche à l’autre que suscite Marie Maurel de Maillé pour Image/Imatge d’Orthez. En s’appuyant sur l’imaginaire du conte « Raiponce » des Frères Grimm elle met en place une atmosphère feutrée d’où la disparition et la mort ne sont jamais éloignées. Un livre aux Editions Nonpareilles nous restitue cet univers si fragile.
De la Villa Perrochon de Niort la japonaise Ayaka Yamamoto nous convie à une rencontre hors d’âge (comme on le dit d’un alcool exceptionnel) avec les jeunes femmes qui lui servent de modèles pour ses mises en scènes dans une affirmation renouvelée d’un féminin qui ne soit pas cliché.

Des fictions sociales prennent la forme d’une histoire d’hommes contée par Nolwenn Brod invitée de la galerie Le Lieu de Lorient. La fraternité des corps engagés dans la violence archaïque de la lutte bretonne saisie dans les lueurs du crépuscule évoquent les enjeux du combat mythique entre Jacob et l’Ange.
Une autre fiction identitaire s’est mise en place au Centre Atlantique Photo de Brest grâce à Vincent Gouriou. Ses « Singularités » comme ses regroupements en couple ou en unités familiales interroge les variations de l’identité à l’époque où il n’est plus à prouver malgré les bien-pensances d’extrême droite que le genre est une construction sociétale.
Paradoxalement, sans visée politique immédiate, Amaury da Cunha dans sa série « Après tout » finalisée après sa résidence à Voies Off d’Arles inquiète tout aussi bien l’identité. Tenant à juste distance les séductions de l’autobiographie il délocalise les tenants individuels de l’affirmation de soi. Au plus près de la réalité il quête poétiquement un monde fugace où les sens dont celui du toucher contribuent à promettre une sensualité qui autorise la rencontre de l’autre, sans jugement ni tension. Eux ensembles

Deux ensembles nous réconcilient avec une mémoire de la photographie. Bernard Plossu qui a été si longtemps le défenseur d’un noir et blanc obtenu avec ses appareils pauvres a aussi travaillé la couleur en complicité avec la dynastie Fresson . En 1966 il avait produit de superbes paysages de la côte armoricaine avec une Rétinette , grâce à son passage à l’Imagerie de Lannion en 2008 il est revenu sur cette création pour actualiser etnfinaliser ses tirages avec la fameuse technique du tirage au charbon.
Agnès Geoffray grâce à son séjour au CPIF de Pontault Comans des bault a produit un ensemble mettant subtilement en tension de petits tirages anciens et des images de sa réalisation. Dans des cadres épais ces photographies sont posées, épinglées dans un suspens fragile du sens. Des lignes de force traversent le cadre obligeant le spectateur à reconstituer une réalité apparue fragmentée. Ayant retenu les leçons d’Aby Warburg sur l’importance du blanc entre les images elle provoque juste pour nos yeux des effondrements ou des jaillissements où parfois un corps se trouve pris sans servir de vrai détonateur à ces actions.

Conscients de la force politique des images des artistes travaillent sur le terrain souvent en relation à des communautés dont ils se font le porte-parole. Seba Kurtis d’origine argentine a été l’invité du Pôle Image de Haute Normandie, à Rouen. Il a opéré dans un foyer de migrants, dont les infrastructures et le mobilier datent des années 1960. Les « communs » ici cadrés montrent le caractère frustre des dispositifs d’accueil. Les lieux vides témoignent bien mieux de la précarité et de la faiblesse des moyens que des approches plus directement documentaires. D’autant que ces lieux sont mis en dialogue avec des portraits couleurs des étrangers au visage caché dans des matières qui les dissimule au regard des populations de souche qui ne veulent pas les voir. L’engagement politique est ici entièrement subordonné à un projet esthétique d’une grande force.
D’origine ukrainienne Viktoria Sorochinski à l’invitation de Stimultania à Strasbourg a pris contact avec une association de valorisation des femmes d’un quartier populaire. Insistant sur les relations émotionnelles elle a suggéré à chacune de ces femmes de poser pour des « Dialogues silencieux » avec la personne de leur choix la plus chère à leur cœur.
Hortense Soichet à travers le GRAPH de Carcassonne a mené un atelier de pratique de prises de vue avec une quinzaine de femmes d’origine gitane résidentes de la cité de l’Espérance . Sous la direction d’Eric Sinatora elles ont exploré le quartier mêlant au moment de l’éditing leurs images et celles de l’artiste. Un accrochage en tableau rend compte de cette vision partagée. L’ensemble constitue un livre Espérem publié par Créaphis où cette nouvelle forme de photographie négociée renouvelle le documentaire avec la participation active des actrices de cette « Mémoire gitane ».

Deux artistes explorent les confins de la photographie, des autres arts plastiques et des sciences. Jean-Gabriel Lopez en résidence à Lectoure a opéré la réconciliation des pratiques primitives et pictorialistes avec les expérimentations les plus contemporaines. Avec « La mesure du regard » il nous invite à compulser son « Atlas des nuages » interprété en cyanotype tout en nous rappelant que l’invisible aujourd’hui peut aussi s’approcher en s’amusant avec le LUTIN (Laboratoire des Usages en Technologies d’Information Numérique ) pour produire des thermographies qui fantômatisent les présences humaines ou animales.
En intitulant son projet réalisé à La chambre de Strasbourg « Carte mémoire » Eric Tabuchi se met en concurrence avec les potentiels de l’ordinateur, il produit un ensemble complexe dont chaque pièce est légendée « Expérience » qui approche l’architecture d’un campus alsacien avec sculpture, installation, graphiques et photographies. En recherche d’un ordre pluri-artistique qui lui permette de classifier les réalités urbanistiques et humaines il suggère la possibilité d’une science qui s’appuierait sur les protocoles des arts contemporains.