Jason Glasser, artiste plasticien américain, vit et travaille en France depuis 2003. Son travail, qui prend divers modes d’expression plastique, du film à la musique, et à la peinture sur pare-brise, est le reflet d’une sensibilité particulière à la vie moderne, et n’est pas pour autant une œuvre éclatée. Cette œuvre exprime sa sensibilité, sa gravité et son humour face à notre monde où la nature se trouve malmenée par l’homme. Son installation à Pantin, comme une lanterne magique, emmène le visiteur dans les grands espaces américains.
Jason Glasser garde de son enfance passée dans le Connecticut la passion des grands espaces. Paysages beaux et riches aux Etats-Unis, magistraux, souvent sans présence de la trace de l’homme. En Europe, certes l’histoire est plus ancienne mais nos paysages sont moins sauvages. Lorsqu’il était enfant, il aimait l’été ces deux grands arbres qui bordaient la route près de sa maison, dans sa si belle campagne de la Nouvelle Angleterre. C’était dense, se souvient-il, c’était un espace dans la tête, quelque chose de très fort qui permettait de s’ouvrir à l’imaginaire, au mystère.
S’il est intéressé par la relation entre la matière, le pare-brise, et ses images intérieures, c’est parce qu’il sait qu’à notre époque, nous regardons le monde à travers une vitre, que ce soit la télévision, l’informatique, la vidéo… et c’est cette médiation entre nous et le monde qu’il met en œuvre dans son installation. Mais il propose au visiteur une œuvre interactive : les quatre pare-brise peints à la peinture noire, disposés en rond fonctionnent comme une lanterne magique et l’ombre projetée du visiteur recompose indéfiniment l’espace proposé.
L’origine de Fossil Fuel n’est pas sans lien avec un voyage qu’il avait entrepris à Las Vegas, ville où l’eau jaillit à cause de la main de l’homme, mais qui ne serait sinon qu’un paysage lunaire. Le grand barrage qui alimente la ville de manière artificielle avait un niveau très bas. Une démarcation. La terre se révèle blanche. C’est le point de départ de Fossil Fuel. Puis il y eut ce voyage à Saint-Etienne. Jason Glasser visite une mine. Un film lui révèle les conditions de ces mineurs dans les années 20. Les hommes travaillent nus. Il fait si chaud dans l’antre de la terre… Et le mineur que l’on découvre sur un pare-brise qui creuse une mine de charbon n’est pas sans rappeler l’artiste qui creuse le noir, son travail, ses pensées. Le titre est porteur : que va devenir l’homme s’il épuise toutes les richesses fossiles de la terre puisque nos énergies s’amenuisent ?
S’il aime styliser les personnages, c’est qu’il aime le langage de l’immédiateté. Le trait est simple, les figures archétypales, mais qu’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas d’une œuvre sans profondeur.
Fossil Fuel se décline comme un film, il y a un sens, des sens. Le visiteur tourne autour de l’œuvre et recompose à chaque pas ce qu’il voit en transparence. Les personnages, le corbeau qui s’envole en emportant une main, les sapins, le mineur sont les indices d’une histoire racontée. Œuvre d’art, non travail d’illustrateur, magnifique de simplicité et pourtant expression d’un sentiment que l’artiste n’arrive pas à mettre en mots, si ce n’est l’image du voyage, des grands espaces, de l’énergie fossile qui se tarît : « Il y a toujours cette évidence de la nature, qui est là, toujours là, même en ville. Dans le marais parfois on voit des mouettes… et je pense à l’ailleurs… La ville appartient à notre nature humaine. Seul, l’homme a peur. On fait de la musique pour chasser la nuit, exorciser le mystère. L’homme se rassure. Derrière la vitre, il se sent protégé face à cette nature qui est si belle, si parfaite, si forte. Ces grands espaces inconnus. C’est important pour l’homme d’imaginer encore des terres inconnues. »
Le titre de l’œuvre n’est pas anodin. Il représente le charbon, le pétrole qui jaillit du fond des océans, dans les temps très anciens, transformé par l’alchimie de la nature. Jason Glasser a choisi le noir, couleur du charbon. Il trouve une poésie dans la fossilisation car une condition parfaite doit être remplie pour que le squelette de l’animal laisse sa trace. Cette poétique, il la recherche en peignant sur du verre, il utilise plusieurs peintures noires flash très opaques, espérant laisser sa trace dans l’ère du temps.
Toute œuvre offre un parcours. L’artiste, mais aussi le visiteur, est au volant derrière le pare-brise. C’est en circulant autour de l’œuvre qu’on la recompose indéfiniment avec des jeux de lumière, des ombres projetées sur le mur. Il y a une nostalgie dans le travail de Jason Glasser, mais ce n’est pas son moteur unique. Il y a surtout la modernité des images dans une dynamique à la Andy Warhol, lorsqu’il peignait Marylin. Le pare-brise est un matériel qui appartient au folklore des grands espaces que l’on traverse en voiture. Le support, contrairement à une toile, nous ramène à quelque chose de juste, à notre présent, à notre vie d’aujourd’hui. Le fait que ses peintures soient sur du verre offre une dimension plus riche qu’un écran, une présence.