Le paysage à l’aune des évènements historiques

Suite au colloque universitaire organisé en 2017 au FRAC Lorraine à Metz et au symposium international qui s’en est suivi à Phnom Penh les éditions Naima publient un livre collectif sous la direction de Patrick Nardin et Soko Phai Le paysage après coup. Ces approches théoriques ont été complétées par des expositions et des ateliers-laboratoires, différentes disciplines y sont à l’oeuvre :
l’histoire, l’anthropologie, les dispositifs de l’art contemporain, le cinéma, la littérature ou l’architecture.

La personnalité et le parcours des deux organisateurs est révélatrice de l’orientation générale de cet essai. Soko Phay est professeure en histoire et théorie de l’art contemporain à l’Université Paris 8 où elle dirige le Laboratoire
« Arts des images et art contemporain ». Elle mène également ses recherches sur l’art devant l’extrême, dans ses relations avec la mémoire et l’histoire. Elle a notamment dirigéla publication de Les génocides oubliés ? (Mémoires en jeu, 2020). Elle a cofondé avec Pierre Bayard le Centre International de recherches et d’enseignement sur les meurtres de masse.

Patrick Nardin, artiste et théoricien, est maître de conférences en arts plastiques à l’Université Paris 8. Son travail plastique et théorique concerne les problématiques de l’image en mouvement dans le champ de l’art contemporain ; il s’attache aux techniques obsolètes ou défaillantes dans leur confrontation aux nouveaux médias.

Les différents intervenants qu’ils ont sollicité, universitaires et artistes, interrogent l’inconscient du paysage en s’attachant autant à ce qui en parait qu’à ce qui s’y dissimule ou qui en a disparu, volontairement effacé ou laminé par le temps ou les évènements qui l‘ont modifié. En cela le champ abordé par ce livre côtoie ceux de trois autres publications : la revue canadienne bi-annuellel BIG_R dédiée à l’analyse des frontières géopolitiques, publiée par l’Université de Victoria au Canada Borders in Globalization Review. du network https://biglobalization.org/dont Elisa Ganivet s’occupe de la partie purement artistique. Plus directement en rapport avec l’histoire et ses évènements dramatiques Ambroise Thézenas a publié chez Actes Sud son recueil photographique Tourisme de la désolation. Enfin on peut rattacher ces analyses théoriques et ces oeuvres comme participant à ce que Norbert Hillaire dans son essai paru aux Nouvelles Editions Scala appelle La réparation dans l’art .

Les artistes sélectionnés illustrent la dynamique d’une scène artistique cambodgienne construite après les années khmères rouges. Citons parmi eux Hak Kim,, Sokchanlina Lim, Remissa Mak, Sareth Svay, Kanitha Tith, Rattana Vandy, Maline Yim et Pisey Kosal que j’ai eu le plaisir d’accompagner en tant qu’étudiant diplômé de l’Ecole Nationale Supérieure de la photographie d’Arles. Beaucoup réactivent archives et documents pour dynamiser leur rendu artistique du territoire. Leurs productions, images, oeuvres mixtes ou performances traversent les vestiges, les ruines, et les bouleversements topologiques en recherche de l’énergie des lieux.
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Si l’ensemble des contributions méritent qu’on s’y attarde, j’aimerais insister sur la présence de deux personnalités attachantes à divers titres. Annette Becker historienne, présidente du Centre International de Recherche de l’Historial de la grande guerre à Péronne étudie les génocides des Arméniens , des Juifs et des Tutsis et les artistes qui travaillent sur ces domaines de recherche. Sa communication s’intitule Voir l’innommable et l’immontrable ? Les paysages pendant et après le génocide perpétré contre les Tutsi du Rwanda. Elle les étudie comme Paysage de la mort dont elle écrit : « Le paysage de la mémoire, toujours réactivé, est devenu le réceptacle ultime de la mémoire. »

Arno Gisinger est lui aussi diplômé de l’ENSP d’Arles, enseignant à Paris 8 , il mène une création photographique et plastique qui s’attache aux grandes figures de la mémoire. Il a ainsi collaboré à plusieurs reprises avec le philosophe Georges Didi-Hubermann. Il présente son propre travail réalisé en 2018 sous le titre générique Champ/Contrechamp. Ses prises de vues panoramiques de l’ancienne frontière de 1935 entre l’Autriche (son pays natal) et la Suisse sont produites en négatif noir et blanc sur un support en toile transparent et exposées à l’extérieur de deux musées juifs en Autriche et en Allemagne, obligeant le visiteur à un déplacement.

Cet ouvrage est attachant dans son exigence qui se manifeste par la mixité des contributions théoriques venues des sciences humaines et des oeuvres plastiques et performatives qui interrogent l’inscription de l’histoire dans les territoires traversés par les conflits et autres évènements dramatiques.