Le regard moite

La série des photographies qu’Antoine Passerat consacre aux hammams montre autre chose qu’un décor orientaliste passéiste aux belles architectures en faisant ressentir le repli vers l’intériorité, le silence et le lâcher-prise propres à ce rituel.

Bains turcs

Les bains turcs, héritage des thermes romains, se retrouvent autour de la Méditerranée dans de nombreux pays. Pratique salubre permettant de se débarasser des scories qui nous encombrent afin de de se recentrer, le bain n’est pas qu’une prescription hygiénique, c’est une parenthèse enchantée typique d’un mode de vie séculaire. L’humidité rime avec l’humilité d’un dépouillement nécessaire qui n’a rien d’un retour à la vie nue. Aller au bain participe, au contraire, d’un exercice spirituel. Le contact de l’eau, de sa chaleur rendant vaporeux les contours, produit comme une fusion des corps et de leur environnement.

Au delà de la représentation

Il y a du reste une affinité troublante entre la photographie argentique, ce bain de lumière qui se développe dans une obscurité liquide, et la pratique séculaire du bain turc. Si des peintres comme Ingres en donnèrent des représentations toutes imaginaires, la technique photographique semble intruse lorsqu’elle pénètre dans ces lieux fermés où l’on se retire hors des regards. Cependant il n’y a chez Antoine Passerat aucun voyeurisme : l’ambiance feutrée des hammams nous est restituée délicatement de manière impressionniste par des couleurs qui se diffusent, des chatoiements irisés d’opalescences, des ombres qui s’étirent en creusant l’espace.

Bulles temporelles

Les tirages précieux sur papier japonais gaufré rendent hommage à l’attention quasi-hypnotique qui provient des longs temps de pause des prises de vue, analogues au temps de relâchement des corps qui s’y lovent. Ces images saisissent, non un instant qui passe comme le photoreportage, mais de longs moments de détente.
Nous pénétrons à notre tour dans ces lieux préservés. Nous nous arrêtons pour les contempler, et la méditation qui nous captive alors nous rend captifs d’une condition humaine que nous partageons à travers l’espace et le temps. Le regard moite du photographe nous fait pénétrer dans des bulle temporelles raffinées par leur extrême simplicité.