Le tirage à mains nues, l’expérience Guillaume Geneste

On aurait pu craindre d’un livre intitulé « Le tirage à mains nues » une approche platement technique. C’est ignorer que Guillaume Geneste fondateur de l’atelier La chambre noire à Paris est aussi l’auteur d’une oeuvre personnelle autour de l’intime et qu’il a entretenu depuis fort longtemps les rapports de collaboration les plus poussés avec plusieurs générations de faiseurs d’images, représentant de diverses esthétiques.

J’ai eu depuis longtemps le plaisir de voir Guillaume Geneste exercer ses talents et communiquer sa passion auprès d’une classe de lycéens de Pithiviers pour un atelier où nous l’avions invité Joel Arpaillange et moi. Il a a été si convainquant que deux de ces jeunes ont fait après leurs études générales une école de photographie et sont devenus à leur tour des tireurs employés dans des labos de qualité.

Ce livre se nourrit de 7 entretiens avec 5 photographes , un collectionneur et un tireur. On est heureux d’y retrouver dans ces rapports complexes entre créateurs en photographie et tireur professionnel la parole d’Arnaud Claass, Ralph Gibson et Duane Michals. C’est aussi l’occasion de découvrir deux oeuvres plus jeunes celles de Gabrielle Duplantier et Jo Terrien. Guillaume Geneste évoqued’abord en ouverture ses relations avec le regretté Denis Roche. Des expériences collaboratives sont évoqués plus brièvement dans des « à propos » qui permettent de retrouver Klavdij Sluban, Jean Gaumy , Pierre de Fenoÿl, Jacques Henri Lartigue , ou le compositeur Pascal Dusapin,
Klavdij Sluban résume bien le type de relation qui s’instaure quand une réelle empathie se crée autour de la finalisation d’une oeuvre argentique : « Le tireur, c’est un alter ego, un interprète. Me demander pourquoi je ne tire pas mes propres photos, c’est comme demander à un compositeur pourquoi il ne joue pas lui-même ses œuvres ou reprocher à un dramaturge de ne pas jouer ses pièces. »

L’essai nous donne l’occasion de faire retour sur la grande époque de la photographie américaine. Ralph Gibson nous rappelle que toutes les images de son fabuleux Somnanbulist ont été tirées par ses soins, il aime aussi se souvenir avoir été « le darkroomboy » de Dorothea Lange. Son homologue américain Sid Kaplan a lui aussi une création personnelle dont le livre nous permet d’avoir un aperçu et nous donne l’envie d’en découvrir plus, il a travaillé pour Weegee, Louis Faurer, Allen Ginsberg, Philippe Halsman… mais surtout pendant plus de trente-cinq ans avec celui qu’il évoque toujours comme « M. Frank ». Pour compléter l’approche de cette situation l’entretien avec Howard Greenberg apporte le point de vue du collectionneur et galeriste passionné de beaux tirages.

Pour la jeune génération française, Jo Terrien, 24 ans, après des études générales en France a suivi les cours du Pitzer College près de Los Angeles. Elle s’intéresse aux pratiques anciennes et alternatives qu’elle met au service d’un portrait dynamisé. Le travail sur l’intime de Gabrielle Duplantier avait été mis en valeur dans l’anthologie Eyes Wild Open publiée en 2018 par André Frères, lamaindonne avait édité la même année son livre Terres Basses. Elle avait répondu à la commande du Ministère de la Culture sur La jeunesse en France ayant donné lieu à la publication Jeunes-Générations (le Bec en l’air). Elle développe une esthétique de l’intime au plus près de ses modèles.

Tout en approfondissant une approche philosophique l’auteur revendique l’aspect artisanal de son métier : « Au Moyen-Âge, les bâtisseurs de cathédrales appelaient une pige, un bâton sur lequel étaient marquées les différentes dimensions qu’ils reportaient pour mesurer la paume, la palme, l’empan, le pied et la coudée. Dans les laboratoires de photographie, une pige est une feuille de papier photo sacrifiée, de même taille et en tout point égale à celle qui me sert à réaliser les tirages. » Ce repérage de surface des traits de marge lui permet de produire l’image très graphique qui orne la couverture où les pratiquants même occasionnels du laboratoire reconnaitront les mouvements exploratoires de la juste mise au point.

Alors qu’une dématérialisation de la production iconique se poursuit, que nous nous habituons à une réalisation et à une consommation de plus en plus rapide de l’image, ce livre a le mérite de nous rappeler l’importance de la matière photographique, de la complexité de la réalisation d’une oeuvre de cette nature.