Les différentes occurrences photographiques de l’identité humaine

Les Rencontres Photographiques du 10ème à Paris existent depuis 2005 en tant que biennale organisée par l’association Fêtart responsable aussi de la manifestation annuelle Circulations. Ce dixième anniversaire a lieu grâce à un commissariat d’Emmanuelle Halkin. Une exposition centrale à la Mairie de l’arrondissement regroupant 9 artistes sélectionnés après un appel à candidature est complétée par des évènements satellites dans plusieurs galeries et quelques lieux urbains pour des accrochages en plein air. La manifestation est l’occasion de découvrir des créateurs de différentes esthétiques actives actuellement.

A la galerie Porte B le duo Pierre & Florent transforme leurs modèles en statues performées aux frontières de la mode, et de l’autofiction. Cette Mémoire habillée réunit une série de portraits produits par accumulation de vêtements, d’accessoires et d’objets du quotidien.

Sous la direction de Françoise Morin Les douches, la galerie, défend des oeuvres historiques et contemporaines à la fois dans le champ documentaire et aux limites du médium. Elle offre ici l’occasion de revoir à Paris les mises en scène du célèbre photographe sud-africain Roger Ballen. On trouve pour cette exposition Enigma des vintage et des early prints, notamment de ses premières séries qui datent des années 1980 et 90. Ses tirages gélatino-agentique noir et blanc scénarisent les méandres de son inconscient à travers les thèmes mêlés de la marginalité, de l’étrangeté et de la relation de l’humain au monde animal.

L’IMMIX galerie qui veut défendre une photographie élargie présente jusqu’au 16 décembre : MEMOIRES VIVES avec les oeuvres de reprises plastiques d’archives de l’américaine Mikelle Standbridge, et de Fabiola Ubani espagnole qui panache numérique et procédés alternatifs argentiques anciens avec les techniques de photogravure et de lithographie. Comme Juliette Almah elle explore des métaphores de l‘oubli et de la disparition. Le projet le plus convainquant est l‘installation d‘Olga Caldas et OKA, Corps Mémoires une suspension de grands formats qui dévoilent des témoignages retranscrits sur des corps nus, devenant comme des stèles vivantes.
Des interviews vidéo complètent ces témoignage aussi sensibles qu’essentiels. L’invocation du nom de personnes assassinées en déportation, de confession juive majoritairement, n’oublie pas Tziganes, homosexuel(le)s, interné(s ou captives de guerre et résistant(e)s.

La galerie Rachel Hardouin n ‘ a pas de vitrine , elle est située au 4ème étage du 15 de la rue Martel . Dans un immense loft elle accueille pour les Rencontres 6 artistes, deux hommes et quatre femmes réunis autour du thème …et s éblouir….., une exposition montée avec Olivier Bourgoin, agence Révélateurs.Deux de ces exposantes Irène Jonas et Christine Delory Momberger viennent des sciences humaines ce qui colorie leurs thématiques de mythologie personnelle vers de nouvelles approches documentaire. Irène Jonas se singularise par sa technique de repeinte de ses photos , sa série Amiotique réalisée en Bretagne évoque la rémanence du confort intra-utérin. Christine Delory-Momberger a étudié Le pouvoir de l’intime dans la photographie documentaire. L’année de éclipse constitue un travail de deuil de son compagnon depuis 45 ans à travers 3 photos noir et blanc et un ensemble couleur , le tout dune haute sensibilité.
Michaël Sarfaty gynécologue et photographe s’est fait connaitre par son livre mêlant graphisme , texte et témoignages féminins Je vous écris avec la chair des mots paru chez Arnaud Bizalion ; il présente ici un choix éloquent d’images d’intenses et sensuels moments de vie. Dan Aucante cherche à mettre en valeur les points de limite et de basculement, une de ses approches thématiques s’attache à la persistance de l’enfance dans nos existences. Ses images de la série Brise d’âme en négatif noir et blanc prennent un caractère onirique qui flirte avec le souvenir.

Dans le flux des évènements d’un destin le risque encouru par l’individu est l’effacement , deux artistes en témoignent. Missingu de Laurent Lafolie se tient au Transfo Emmaüs Solidarité, dans un commissariat de Michel Poivert en partenariat avec le Collège International de Photographie. Laurent Lafolie crée des objets photographiques qui jouent avec notre perception des images. Sous la verrière du lieu aménagé dans un centre d’hébergement d’urgence, il présente une installation de visages en suspension qui en transparence ouvrent à d’autres possibles. A la Mairie du 10ème Juliette Almah, après des études de sciences humaines est diplômée de Louis Lumière, elle crée des séries où l’effacement se joue dans des versions techniques d’un même tirage. L’image de l’autre, suite à la rupture amoureuse ou au deuil y est créatrice d’un pont entre les mort(e)s et les vivant(e)s. Ces pratiques sont qualifiées par Etienne Hatt dans son article du dernier Art Press comme dans son exposition au 100 rue de Charonne d’« images en creux » .

Anthony Voisin interroge son héritage paternel : 229 boîtes comprenant des documents, des photos, des objets, inutiles, anecdotiques, désuets dont il dresse l’inventaire photo pour une Wild Zone . Il crée ainsi une encyclopédie domestique de la vie entre les années 1930 et 2000 à travers plus 30 000 documents, 1 800 objets, montrant des ébauches de collections.

Trois artistes revendiquent leur identité en lien à leur racines géographiques . Souleymane Bachir Diaw, né en 1995 au Sénégal, interroge les oppositions de genre ente mode et documentaire à travers une approche poétique et critique du vêtement dans sa série Sutura, la voix silencieuse des hommes.
Oleñka Carrasco a obtenu sa licence en Littérature au Vénézuela, puis un Master en Sciences Humaines, spécialisation théorie du spectacle et de la danse, en Espagne.Elle expose ici un ensemble intitulé Maison prêtée pour un deuil après la mort de son père au Venezuela, après des années à chercher des médicaments pour traiter son asthme chronique. Elle met en scène comment vivre la mort d’un proche en 2020 en étant exilée et confinée, dans une maison qui n’est pas la sienne.

Née en France d’origine arménienne, Rebecca Topakian, diplômée de l’ENSP d’Arles a choisi de devenir progressivement arménienne à l’âge adulte, jusqu’à vivre partiellement à Erevan, obtenir la nationalité, y avoir un appartement : mener une double vie. Elle reprend avec humour la tradition du studio dans une série d’autoportraits où elle se déguise en autant de personnalités possibles . La reprise d’un dialogue à la frontière entre la Géorgie et l’Arménie montre ce que cette double identité peut avoir de problématique et dangereux Elle conclut cette quête identitaire par cette question vitale « Suis-je une immigrante illégale en France, une réfugiée sans papiers en Arménie, une patriote qui devrait s’armer ? ».

Ces Rencontres qui offrent de nombreuses découvertes , révèlent aussi des auteur(e)s qui viennent d’autres champs de connaissance , des sciences humaines notamment. On sait que les recherches dans le domaine des mythologies personnelles sont nombreuses depuis des années , plus large encore ce corpus d’expositions semble installer l’existence d’une nouvelle esthétique que l’on pourrait qualifier d’humanisme plasticien.