Les leçons d’invisibilité du monde d’Estefanía Peñafiel Loaiza PRIX AICA 2014

Lors du premier pecha kucha organisé par l’ AICA des voix se sont dressées y compris au sein de l’association pour dénoncer le caractère superficiel d’une telle pratique consistant pendant 20 secondes à parler sur 20 diapositives pour présenter le travail d’un artiste. Depuis l’exercice dans sa difficulté comme dans sa concision a été reconnu par tous. Ce prix de l’AICA décerné en 2014 à Marc Lenot au sujet du travail d ‘ Estefanía Peñafiel Loaiza prouve l’efficience d’une telle approche, quand elle se prolonge dans une exposition et dans un livre.

Ancien élève de l’Ecole Polytechnique (X67), Marc Lenot est connu comme l’auteur du blog Lunettes Rouges hébergé par Le Monde. Depuis 2005, plus de mille articles ont été mis en ligne, lus par environ 3000 lecteurs dédiés au quotidien. S’intéressant à la photographie expérimentale il a récemment collaboré a deux ouvrages sur le photographe Miroslav Tichy, dont le catalogue de son exposition au Centre Pompidou (2008). Il a, par ailleurs, écrit pour les revues Geste et Zéro-deux.

Ce qui le passionne chez Estefanía Peñafiel Loaiza c’est cette dialectique du montré et du caché, du visible et de l’indicible. Elle la revendique sur son site comme motrice de son projet de création :

« Faire l’expérience de l’image au-delà du visible. Interroger le regard, multiplier les perspectives, déstabiliser le point de vue. (…) Instruire le manque dans l’image, chercher l’image qui manque. Invoquer le latent, le non vu, l’absent, l’invisible. Refaire les gestes, convier les mots, chercher le regard d’autrui. Regarder ailleurs. Regarder autrement. Regarder encore. »

Qu’elle reprenne la phrase de dieu à Adam qui pose la question du savoir dans le destin humain ou qu’elle s’attaque à rendre visible les figurants anonymes des photos parues dans les journaux elle procède toujours par soustraction d’éléments. Le simple verre ne laisse apercevoir la phrase biblique que dans une certaine lumière. Les traces gommées sur l’encre des journaux sont recueillies dans des petits flacons individuels que le critique désigne comme de petits cercueils de verre pour honorer ces sans noms.

Ce travail est éminemment politique, d’abord de par la revendication de son statut d’émigrée, même si elle évoque son pays l’Equateur de façon avant tout poétique. Elle trace ainsi une ligne quasi invisible tout au long des murs de galerie où elle expose (récemment au Centre de Photographie d’Ile de France de Pontault Combault), évoquant la ligne imaginaire de partage géographique, ou efface dans une vidéo une phrase d’Henri Michaux sur sa patrie. Elle joue du noir pour y installer des photos du film interdit de Gilles Pontecorvo La bataille d’Alger, ou d’une lumière rouge pour rendre illisible des photos d’incendies. Pariant dans les deux cas sur les ressources de la persistance rétinienne. Récupérant des images de vidéo surveillance entre le Mexique et les Etats unis elle en propose des tirages retouchés où les contrevenants floutés ne peuvent plus être accusés par l’image qui chez l’artiste n’est jamais, jamais une preuve. C’est cette leçon que ses œuvres fragiles et belles nous assène le réel plus que jamais s’est totalement désolidarisé de l’image qui ne nous offre que des fragments liminaires.