Sophie Carles s’attache aux altérations qui viennent modifier différentes surfaces, qu’elles soient naturelles, construites ou transformées par l’homme, qu’elles s’appliquent à ses bâtiments, à ses défenses ou concernent son propre épiderme.
Dans la ville d’Orléans où elle vit et enseigne la photographie à l‘Ecole Supérieure d’Art et de Design, dans une série primitive faite un jour de neige qui immobilisait tout, y compris la circulation des trains elle documente cette immobilité, le coté graphique du paysage, et la discrétion de la couleur dans une image et un paysage urbain comme scarifié presque monochrome.
En 2017 elle emprunte au paysagiste Gilles Clément le concept de Tiers paysage pour montrer comment les surfaces et sols de ruines industrielles sont traversés par des plantes qui résistent aux conditions les plus difficiles. Elle opère des prélèvements végétaux dans une ancienne fonderie, son cadre souvent sombre tranche avec le vert vif des plantes résistantes.
En recherche de sites anciens elle collectionne des cartes postales les représentant elle les fait vieillir artificiellement pour accentuer l effet d’oubli dans une forme plastique superficielle.
La maladie soudain révélée de son père lui permet de tenter un double deuil avec des matières d’objets intimes dans sa chambre (série Après ) et une approche symbolique de l’évolution colorée d’un Hématome. Elle en témoigne en ces termes : « La peau, qui fait lien (et limite) entre soi et les autres, a une capacité d’autoréparation et de résilience. »
Elle poursuit l’expérience intime en plongeant dans un bain d’eau salée des photographies de son père enfant et de la serre horticole familiale. Au fur et à mesure du processus chimique de Cristallisation, l’image semble changer d’état elle blanchit et disparait partiellement, mais voit sa surface prendre une nouvelle forme de présence.
Après un diplôme de l’école des Gobelins , elle a repris des études pour obtenir un Master « Photographie et art contemporain », en menant une recherche sur « La représentation de la ruine dans les pratiques de la photographie contemporaine ». En résidence en 2019 à l’Usine Utopik, implantée dans le Cotentin, près de Saint Lo, elle s’intéresse alors aux ruines laissées par la guerre, principalement celles de la seconde guerre mondiale.
Toujours soucieuse de renouveler la surface de l’image , de l’enrichir elle se forme à la pratique du cyanotype . Devant l’absence de traces concrètes des désastres de la guerre elle rencontre des témoins de différentes générations , leur demande de fournir des portraits et vues de bâtiments. Elle imprime des cyanotypes sur un papier fin, non adapté, qui se délite, se déchire, lors du développement dans l’eau. Sa série D-Day Fatalities renouvelle la légende du temps et réactive ses disparitions.
Dans son intérêt pour les architectures elle commence une campagne de prises de vues sur les bunkers dont les murailles internes sont marquées par le passage de la guerre et de leurs protagonistes. Pour en rendre les détails de ces Matrices elle utilise un Hasseblad numérique. Chaque série est l’occasion d’exercer sa technique pour un rendu plus sensible de la façon dont les surfaces du réel peuvent témoigner de leur transformation et de la résistance aux légendes destructrices du temps.