Les micro-phénomènes de Charlotte Seidel

Non pas les vies minuscules des murs et des surfaces mais les phénomènes ordinaires de la vie humaine, ou plutôt les micro-phénomènes, voici ce que Charlotte Seidel affectionne le plus : scruter, analyser, contempler ce que personne ne voit, pour la simple raison que, pour la plupart des gens en tout cas, il n’y aurait, il n’y a rien à voir.

C’est aux plus petits évènements du monde qu’elle s’intéresse, nous rappelant la question des petites perceptions de Leibniz face à l’aperception selon Kant. Cela nous donne des vidéos, des photos, des monotypes et des installations proprement confondantes. Regardez la goutte d’eau qui par débordement et par capillarité va passer d’un verre à l’autre, prenant le temps d’une vidéo de 3 minutes 55.

Ou encore les traces d’oxydation laissées par des pièces de monnaie sur une feuille. Une page minimale, non pour fiduciariser l’espace, mais pour exalter le temps. Autre mini installation : un escabeau dans un coin ! Le spectateur découvre une minuscule inscription dans l’angle de la voûte : « pluie d’été sur asphalte ». Encore une histoire d’eau, peut-être une infiltration au sous-sol ( ?), mais seulement si vous avez levé le nez … et grimpé sur l’escabeau !

Phénomène sublime par excellence : les résidus secs déposés par l’eau de Lourdes évaporée en quelques longues semaines sur une authentique cloche de verre artisanale. Mais l’art ne peut y voir que du feu. L’essence au-delà des sens. Car c’est par l’eau (du baptême) que naît la foi. Mais, aujourd’hui, qui le sait ? Charlotte, elle, le sait : elle met le doigt sur l’essentiel, l’invisible qui se rend présent. Le regardeur pourra témoigner : aussi sec le phénomène retombe ! Circulez y’a rien à voir ! Lourdes c’est à croire, et pour ce faire, il faut boire ! Boire à la source du phénomène, pour atteindre, non plus à l’apparition, mais à la contemplation. Par sublimation. L’atelier n’est pas un laboratoire de chimie : il est la chambre de naissance, le lieu du travail, où naît la vie. L’œuvre sera subliminale ou ne sera pas. 

Charlotte Seidel révèle le sens des petits riens de l’existence. Déjà, elle avait fait une œuvre dans l’épaisseur de feuilles, à l’interstice, dans l’écart de deux éditions de l’Histoire de l’art de Gombrich : la marge fait l’œuvre. Déjà, avait-elle chauffé un siège du Musée Nissim de Camondo du fait, du seul fait d’un anonyme précédent occupant… et elle le fait encore. Finalement, et tout en restant dans le champ de la conscience, ne nous offre-t-elle pas une tentative de métamorphose de l’espace en temps, de translation de l’apparence vers un autre réel ? Ainsi nous mène-t-elle plus loin vers les profondeurs de l’être, à la recherche de la fine pointe des phénomènes contingents, comme si l’ordinaire du monde devait révéler une vérité supérieure.