Les nouvelles éditions Scala, un point lucide

Les Nouvelles Éditions Scala ont une forte image éditeur d’art de référence auprès des publics et des professionnels des musées, des lieux de patrimoine et des librairies. Les ouvrages sont considérés comme accessibles, à la fois par le contenu et par les prix de vente, et de qualité. À ce jour, le catalogue est constitué d’environ 130 titres.

Le développement éditorial des Nouvelles Éditions Scala est orienté selon deux axes :

- des ouvrages consacrés aux collections de musées français et des guides historiques de lieux de patrimoine (musées, châteaux)

- un axe de vulgarisation innovante en histoire des arts : art contemporain, arts asiatiques (et particulièrement art japonais), danse contemporaine.

Quelle est votre situation économique actuelle ?

Michel Guillemot : C’est une sorte d’anémie qui nous menace. Que les librairies ferment pendant deux-trois mois, nous pouvons le supporter, il y a déjà en temps normal des périodes où leur activité baisse beaucoup, en février ou en août, auxquelles nous sommes accoutumés. Dès le départ, nous avons compris que ce qui nous menacerait réellement serait six à douze mois (ou plus encore) d’activité réduite qui nous paralyserait à terme, nous enlevant toute possibilité de financer la publication de nouveaux livres ou même de faire des réimpressions. Et plus durablement le risque que des libraires ne puissent pas résister et ferment. Très clairement, les difficultés sont à venir, et il faudra dans le meilleur des cas deux à trois ans d’efforts pour les surmonter.

Quelles précautions avez vous prises pour répondre aux menaces sur le secteur ? 

Michel Guillemot : Nous avons dû annuler des publications prévues entre avril et septembre liées à des expositions et reporter des réimpressions d’ouvrages du fonds qui ne trouveront leur rentabilité qu’au bout de trois ans au minimum. Et nous avons allégé au maximum notre programme en repoussant à l’année prochaine tous les projets pour lesquels il était possible de le faire.
Étant donné cet amaigrissement forcé du programme, nous avons eu recours au dispositif d’activité partielle, dont il faut saluer le bien fondé et l’efficacité.
Puis nous avons contracté un prêt auprès de notre banque pour avoir les ressources suffisantes jusqu’au printemps prochain. Là encore, il faut saluer la simplicité et l’efficacité du dispositif mis en place très rapidement par l’État.

Quelles sont les collections qui marchent le mieux ?
 

Michel Guillemot : Je raisonne de plus en plus en ligne éditoriale plutôt qu’en collection. Une ligne éditoriale correspond à une thématique et à des usages culturels, avec une liberté dans la forme. L’idée de la collection, un dispositif qui facilite la communication autour des livres (avec les auteurs, les libraires, les journalistes, les lecteurs), qui identifie, est aussi de créer un fonds permanent, des livres qui durent donc. Les règles de la consommation aujourd’hui sont plutôt que la nouveauté chasse la nouveauté. Ici comme ailleurs, le résultat de la concurrence n’est plus l’émulation mais de pousser à l’obsolescence.
La ligne éditoriale qui fonctionne le mieux pour nous est celle des ouvrages autour des collections des musées et notamment les livres déclinés en plusieurs langues. Pour cela nous dépendons vraiment du tourisme international, ce qui s’avère être un handicap pour les mois à venir.

Quels sont vos livres phares ?

Michel Guillemot : Je me demande ce que peut bien être un livre phare ? J’imagine un livre qui rayonnerait, donc pour nous en édition d’art, ce qu’on appelle dans le jargon des éditeurs un long seller, un livre pour lequel l’intérêt et le désir des lecteurs ne faiblit pas dans la durée. Pour l’art japonais, il y a le livre Yôkai, fantastique art japonais de Brigitte Koyama-Richard. Pour la danse, le livre Danse et art contemporain de Rosita Boisseau et Christian Gattinoni, et également Danse contemporaine de Rosita Boisseau et Laurent Philippe. Nous venons de recevoir le prix du Meilleur livre de danse de l’année 2019 du Syndicat des critiques pour Regardez la danse (publié en 5 volumes) de Philippe Verrièle et j’ai bon espoir qu’il devienne aussi un livre phare. En art contemporain, il y a le livre Mythologies personnelles d’Isabelle de Maison Rouge, La Photographie contemporaine de Christian Gattinoni et Yannick Vigouroux, et La Peinture aborigène de Stéphane Jacob, Pierre Grundmann et Maïa Ponsonnet. J’en oublie bien sûr…

Quels sont vos projets dans les 6 prochains mois ? 

Michel Guillemot : Les mois à venir étant très incertains, nous avons annulé ou reporté la plupart des parutions à l’année prochaine, pour nous concentrer sur un seul titre, Les Animaux dans la peinture japonaise, le nouveau livre de Brigitte Koyama-Richard. C’est un ouvrage de 320 pages passionnant et sans équivalent sur l’art et la culture japonaise qui paraîtra au mois d’octobre.

Quelles sont vos rapports avec les diffuseurs et distributeurs ? 

Michel Guillemot : Nous avons été éjectés par notre diffuseur-distributeur historique l’année dernière, en même temps qu’une quarantaine d’autres éditeurs. Nous avons rejoint le diffuseur indépendant le plus important, Harmonia Mundi Livre. C’est un changement bénéfique car c’est une entreprise à taille humaine, où les interlocuteurs sont attentifs et ne vous renvoient pas sans cesse à ce que leur ordinateur leur permet de faire ou de ne pas faire…
Le diffuseur est essentiel pour nous : c’est un dialogue permanent et la garantie de notre indépendance.

Attendez vous une réaction et de l’aide du Ministère de la Culture ?

Michel Guillemot : Face à la situation inédite et catastrophique que nous connaissons, le ministère ainsi que les services régionaux de la culture, qui sont généralement un peu loin de la réalité du terrain, ont été très réactifs et sensibles aux difficultés des éditeurs. Les dispositifs d’aide mis en place sont simples et efficaces, et nous permettent d’envisager de continuer notre activité malgré les difficultés certaines à venir. Sans eux, ce ne serait probablement pas le cas.

Qu’attendez vous des critiques d’art ? 

Michel Guillemot : Les critiques d’art ont un double rôle à jouer par rapport à l’édition d’art. D’une part, évidemment, en tant que critique. Les artistes, les expositions, les artistes, il faut en parler et en faire parler, et pas seulement pour leur faire de la publicité. Il faut agiter les idées et susciter le débat pour faire comprendre pourquoi l’art est important pour la société. C’est une place qu’ils ne doivent pas laisser aux techniciens et aux personnalités du divertissement, comme on le voit trop souvent, notamment à l’initiative des musées.
D’autre part, les critiques, ce sont aussi nos auteurs et là aussi, il faut qu’ils soient créatifs pour faire évoluer les idées, et « rendre visible » comme disait Paul Klee à propos de l’art.

Comment percevez vous vos lecteurs et leur évolution ?

Michel Guillemot : Nous avons perdu en grande partie les professeurs, les élèves, les étudiants. Il semblerait que les établissements scolaires n’encouragent plus à acquérir des livres mais plutôt à trouver des extraits gratuits sur Internet. Dans les collèges et lycées, j’ai eu plusieurs témoignages, en classe de français, on dit aux élèves qu’il suffit de lire des extraits sélectionnés plutôt que de lire les œuvres en entier… Les lecteurs qui nous restent sont très motivés, ouverts et curieux. Ou alors, et c’est particulier au livre d’art, ils achètent des livres pour les offrir. La valeur symbolique du livre continue d’être très élevée, ce sont les usages qui se décalent.

Comment vivez-vous le rapport aux bibliothèques ?

Michel Guillemot : C’est malheureusement une absence de rapport. Avec le système des achats par marché public, les bibliothèques sont alimentées par contrat par des libraires, et nous n’avons plus de rapport direct avec elles. Qui fait les choix des ouvrages, sur quels critères, tout cela est devenu opaque avec un système qui se voulait vertueux.

Comment envisagez vous le rapport papier / électronique ? 

Michel Guillemot : Le livre électronique est une formidable invention… pour des usages intellectuels. Pour l’intertextualité notamment, concept du groupe Tel Quel aujourd’hui pourtant un peu oublié. En art et pour le livre illustré, la qualité d’image n’est pas au rendez-vous, sauf à posséder un matériel très couteux. Je suis persuadé depuis toujours qu’il y a un lien essentiel entre le support et le contenu, de même qu’entre le fond et la forme. Proust n’aurait certainement pas écrit la Recherche sur des tablettes d’argile. La littérature électronique, si elle se développe, sera différente de la littérature du livre. À côté de cela le projet du livre électronique est devenu uniquement économique : des appareils électroniques fabriqués en Chine par des Américains, dans des conditions sociales et environnementales déplorables, des forêts de serveurs alimentés par des centrales nucléaires… tout cela pour lire des romans ? N’est-on pas en train de scier la branche sur laquelle nous sommes montés nous asseoir pour lire ?