Nichée tout en haut d’un très beau domaine départemental, entourée de pins maritimes et cernée par la mer et les rochers, la galerie du Dourven présente actuellement une exposition ambitieuse d’un jeune artiste, Neven Allanic. Le centre d’art, bien que relativement isolé au cœur des Côtes d’Armor, présente depuis près de vingt ans des expositions monographiques exigeantes et pourtant tournées vers la population locale grâce à un habile mélange de médiation individuelle (pour les visiteurs occasionnels) et d’un réseau solide de curieux et d’amateurs du village de Trédrez-Locquémeau et de ses environs. À chaque artiste de trouver donc une manière de s’immiscer dans ce cadre très particulier d’isolement tout en menant une réflexion contextuelle sur le lieu.
L’exposition de Neven Allanic se présente à la fois comme une première rétrospective de son travail en même temps qu’une ouverture vers un projet plus ambitieux que le titre mystérieux, Que du vent, connote. Ses vidéos, tout autant que ses œuvres sonores, que l’on avait pu voir précédemment dans diverses institutions ou galeries, prennent un sens tout à fait différent grâce à l’environnement très particulier de la galerie du Dourven. Avant même de rentrer dans l’espace d’exposition, le spectateur est accueilli par différents bruits, les réels se mêlant aux construits par l’artiste, et notamment ceux Interdire. Cette œuvre sonore qui semble nous défendre de rentrer dans la galerie (« Tt-tt-tt », entend-on), se transforme dans le parc en sifflement d’oiseau, recouvert par intermittence par les piaillements des merles, tout à fait vrais cette fois-ci.
La première salle de la galerie a ceci de tout à fait perturbant qu’elle est constituée d’une large baie vitrée, nous mettant donc à distance avec le paysage tout autant qu’elle nous laisse le contempler. Il était donc tout naturel pour Allanic de placer sa vidéo Vent dans ce premier espace, œuvre qui nous rappelle le souffle qui file dans les feuillages des arbres du domaine, alors même que le spectateur se situe dans un espace clos. Comme un film doublé, le son du vent se superpose à l’image mouvante du domaine, tandis que le sifflement de tout à l’heure, légèrement atténué, se fait plus enchanteur. Et cette confusion entre l’extérieur et l’intérieur est redoublée par la présence, sur le mur de cette première pièce, d’un pan de mur faisant penser à une maison bretonne. Rien ne manque : crépi, volets, ni le parterre de banal gravier sur lequel une chaise longue est placée.
Mais tout fonctionne en boîte gigogne dans le travail de Neven Allanic, et cette mise en scène n’est pas là par hasard. Si une partie de l’exposition repose sur la réutilisation d’œuvres déjà existantes, donnant à cette dernière un petit caractère rétrospectif, il est aussi question de mémoire et d’enfance. C’est que la maison qui nous est donnée à voir, qui n’est en fait qu’une façade aveugle, est celle de la grand-mère du jeune artiste, et que l’on retrouve sous la forme d’une aquarelle conservée précieusement par la famille dans la deuxième salle du parcours. De même, un rappel du papier-peint de l’intérieur de la maison se retrouve sur les murs, avant d’être contaminé par le white cube persistant de la galerie. Avant même de passer le pas de porte vers cette nouvelle pièce, des sons inconnus nous parviennent. Et, pour le spectateur attentif, un miroir noir collé sur la porte de la grand-mère ici reconstituée nous renvoie un reflet légèrement ralenti et voilé de nous-mêmes.
Aux gravillons de l’espace intérieur/extérieur succède un plancher de bois brut d’où sort un étonnant son de feu qui crépite (Le feu), dans lequel on peut retrouver la rassurante monotonie du feu de cheminée ou l’incendie involontaire (des pins, par exemple). Une caisse en bois s’ébranle par intermittence, comme si quelqu’un souhaitait en sortir, enfermé à l’intérieur d’une boîte de magicien. Deux vidéos complètent l’installation de cette pièce, mais cette fois-ci muettes, dans lesquelles l’artiste mime, ici un objet qui se transforme au gré de son imagination (Présence), là une galerie que l’on souhaiterait repeindre et préparer en vue d’une exposition (Le white cube ou un monde idéel par la fenêtre). Cette deuxième salle fonctionne comme une respiration dans l’exposition, donnant à voir ce qui n’est finalement que du presque rien (les mimes) et à écouter des sons fabriqués par l’artiste qui connotent sans rien montrer.
Le troisième et dernier espace est probablement le plus impressionnant : au loin on entend le bruit d’une goutte d’eau qui tombe par intermittence, tandis que se déploie sous nos yeux une architecture de bois, relativement complexe par sa forme. Cette structure mystérieuse semble prendre la forme d’un hémicycle qui ferait à première vue penser à un amphithéâtre de dissection, un tribunal ou un panorama. Inspirée de la tour des Vents d’Athènes, cette construction semble être un hommage méticuleux au monde de l’enfance tel que s’en souvient l’artiste. En son centre, ce qui pourrait être une dent de lait mais qui n’est qu’un caillou de Petit Poucet, placé sous une imposante cloche de verre : un souvenir d’enfance magnifié, lorsque Neven Allanic jouait dans le gravier de la maison de sa grand-mère. Les cailloux blancs – les plus rares – étaient alors considérés comme une richesse incroyable.
Sur les quatre pans de l’hémicycle, quatre photographies d’enfants étonnamment sombres (en fait photographiés par le biais d’un miroir noir), dont on comprend en se déplaçant sur le promontoire qu’elles ne sont définitivement pas à hauteur d’adulte. Et, tout en bas, des petites portes s’ouvrent, telles les portes d’Alice au pays des merveilles, inaccessibles pour les spectateurs que nous sommes, mais pour lesquelles un enfant pourrait sans nul peine coller son œil pour regarder ce qu’il y a derrière. L’adulte, lui, ira faire penaud un tour dans l’Envers du décor, c’est-à-dire contourner la structure afin d’en regarder ce qu’il y a derrière : maquettes de décor, sacs de gravier, planches de MDF laissé brut. Tout cela ne serait-il Que du vent ? Malgré la complexité et la densité du propos d’Allanic dans cette exposition-proposition, peut-être faut-il avant tout y voir une œuvre poétique tournée vers l’enfance, où l’artiste joue au magicien, créant lui-même ses bruits de vent, de goutte d’eau ou de feu. Et l’émotion qu’on peut avoir enfant en dénichant des petits trésors dans des tas de cailloux, semblait toute choisie pour ce lieu : Neven Allanic savait-il qu’en breton dourven signifiait « pierre bruissante » ?