Les surfaces déterritorialisées d’Alexandre Maubert

En se définissant de façon prépondérante comme cinéaste avant que plasticien Alexandre Maubert affirme le caractère narratif complexe de ses projets. Pourtant dans ses productions récentes les images fixes côtoient les vidéo très élaborées. Malgré leur caractère d’évidence les photographies souvent sérielles procèdent de protocoles eux aussi très précisément construits.

Une même logique se trouve à l’œuvre depuis une série comme Casabianda. Il s’agit de l’ approche documentaire d’un centre corse de détention situé sur la commune d’Aléria. Le photographe a parcouru le pourtour d’environ 20 km de l’établissement pénitentiaire dit « ouvert » parce que sans mur d’enceinte. Telles une enceinte immatérielle, ces photographies suivent la limite imposée aux détenus, les coordonnées GPS des lieux marquent la surface du grand tirage sur Fine Art Paper. Ces indications géolocalisées assurent la continuité d’une photo à l’autre en même temps qu’elles marquent le caractère de platitude du support qu’elle interroge.

Cette désignation critique de la surface laisse augurer d’un espace intérieur qui serait celui de l’événement. Impact se fonde ainsi sur une série d’images vidéo récupérées sur internet, représentant des tirs « à longue portées ». L’effet déceptif de ce type d’image devenue abstraite, sa banalisation dans la masse des informations, se conjugue avec leur caractère dramatique. La mise à distance du monde s’effectue dans la mise à plat des flux du réseau.
Les mêmes sources internet choisies loin de la dramaturgie guerrière fournissent la matière iconique de la série Diffraction. La narration semble issue d’une cinématographie du quotidien qu’affirme la place des corps dans l’espace urbain. Le focus y est fait sur des gestes singuliers, des attitudes particulières en contradiction avec le théâtre de la banalité. L’imagerie de surveillance se trouve déminée par le double traitement argentique / digital qui dissocie les couches de couleurs. Ce tissage tramé effectue un processus d’altération du quotidien qui encore une fois désigne le médium photographique dans sa difficulté à détourner le réel.

Les ciels pastels de Cutting plane sont issus de différents Manga animés. L’artiste les a collectionnés là encore sur internet après le séisme qui a frappé Tohoku au Japon le 11 mars 2011 à 5h46 UTC. Suite à ces évènements il a utilisé cette technique cinématographique du plan de coupe pour insérer, non pas à la surface de l ’image mais dans la profondeur des couches de couleurs, des indications graphiques. Enregistrés toutes les 300 secondes par le Center for Engineering Strong Motion Data – CESMD ces relevés des stations de surveillance donnent la force du séisme et de ses répliques dans les différents sites proches du centre. Face au kitsch coloré des représentations dessinées les graphiques relocalisent la menace en empruntant comme légende le nom précis du lieu où sont situées les stations d’observation de ces phénomènes.

Dans la plupart de ses séries photographiques Alexandre Maubert utilise la dénonciation de la platitude du support argentique pour mettre en crise notre rapport au monde tant dans les situations tragiques que dans l’expression du quotidien en circulation sur les divers medias. En jouant de la bascule du territoire entre ses représentations abstraites et ses formes délocalisées il nous invite à un voyage de surface qui remet en cause nos certitudes.