LIONEL BAYOL-THEMINES expose Silent Mutation (post anthropocène) à l’Artothèque Espace d’Art Contemporain à Caen du 14 janvier au 1er avril 2017. Au premier regard on se laisse emporter, fasciné par ces représentations de paysages, en pensant qu’il ne s’agit peut-être que de la trace photographique belle et particulière d’une Nature réinventée, sublimée, presque réenchantée… Alchimiste du « traitement » de l’image, Lionel Bayol-Thémines, photographe plasticien, génère cette réalité autre en modifiant le codage numérique de l’image de la photographie originelle. Ses paysages « transfigurés » portent les traces de ces « mutations silencieuses » qui dévorent notre écosystème et qui ne sont pas perceptibles à l’œil nu. Pollution. Activité irraisonnée des Hommes. Silent Mutation de Lionel Bayol-Thémines est une ode à la dénonciation de l’Industrialisation.
Biochimiste de formation, aujourd’hui photographe plasticien, Lionel Bayol-Thémines, originaire du Sud-Ouest s’installe à Paris en 2004. Il nous reçoit dans son atelier de Nogent-sur-Marne.Etretien avec Florence Valérie Alonzo.
Florence-Valérie Alonzo : Quatre années de travail vous ont été nécessaire pour donner corps à cette dénonciation qui a toujours animée votre œuvre, mais qui est particulière aujourd’hui : notre nature se meurt et vous le dénoncez. Comment passe-t-on des « Super Héros » de Titanes Land (2006/2009) aux personnages masqués poing levé en signe de résistance au milieu de l’océan de l’exposition Aquavitalis [Artothèque de Caen 2013] à ces paysages « réinventés » de Silent Mutation ?
Lionel Bayol-Thémines : « J’aime la nature, et j’ai conscience de cette nécessité de protéger notre écosystème… Parallèlement je poursuivais ma réflexion sur le medium photographique. En 2009 je lisais Wilém Flusser et son livre Pour une Philosophie de la photographie fut une révélation. Il questionnait l’histoire des images et leur processus de création. J’avais envie de refonder complètement ma pratique. Se posait à moi la question de la captation du réel et de la relation de la photographie à son référent. En 2010 je lisais les écrits de Joan Fontcuberta. Pour moi, ce fut une deuxième ouverture questionnant la construction des images. Qu’en est-il de la vérité de la photographie ? de sa capacité à représenter le réel ?Sert-elle à témoigner ou à manipuler l’Histoire ? »
F.V.A : Vous aviez déjà commencé à vous intéresser aux paysages avec Utopia Antartica (2012) …
Lionel Bayol-Thémines : « Oui, j’avais commencé à m’intéresser à des choses plus expérimentales, au paysage et sa construction protéiforme, à la photographie post-moderniste… Mon premier travail « purement » « paysagé » Utopia Antartica [2012] s’articulait autour de la disparition et de la dérive des glaces. Or ces phénomènes étaient absents de l’image. Se posait le problème de la captation d’un mouvement non perceptible à l’œil nu. La photographie n’est-elle pas empreinte ? La technique du photogramme s’imposait à moi, cette image photographique obtenue sans utiliser d’appareil photographique, en plaçant des objets sur une surface photosensible et en l’exposant ensuite directement à la lumière. La trace de la fougère. L’empreinte. Et l’absence. Comment préserver la mémoire de ces territoires, de ces icebergs qui dérivent au grès des courants vers nos côtes, s’échouent, fondent et disparaissent ? »
F.V.A : Vous travaillez autour des problématiques de l’inexorable destruction qu’entraîne l’activité humaine, la guerre aussi…
Lionel Bayol-Themines : « Oui… Avec Typology of Human Language et Empty Land 2012/2013… ce travail autour des blockhaus de la côte atlantique. Ces blockhaus laissent des traces dans le paysage. Je les ai donc « enlevés » de la photographie, j’ai « grignoté » l’image et j’ai laissé leur empreinte. Ces paysages sont amputés à cause de notre dernier conflit mondial. Ici j’interroge aussi notre devoir de mémoire.
F.V.A : Revenons à votre exposition à l’Artothèque de Caen Silent Mutation…(post anthropocène)
Lionel Bayol-Thémines : « j’ai créé ma scénographie pour l’espace du Palais Ducal, cette bâtisse construite au 14ème siècle et qui abrite aujourd’hui l’Artothèque de Caen. Claire Tangy, directrice de l’Artothèque m’a donné le temps et les moyens, de produire ce projet, notamment un objet photographique ambitieux (High Land) de 9 m X 0,9m X 2 m composé de treize panneaux. J’y montre conjointement 6 autres séries qui constituent le projet Silent Mutation. Associées , elles préfigurent la mutation inéluctable des espaces dans lesquels on vit. 21 pièces composent cette exposition, dont 2 vidéos et 2 installations. D’autre part, nous présentons pour la première fois, le livre objet High Land paru aux éditions Enigmatiques en 2016 à 10 exemplaires. Il est composé d’une édition photographique de l’installation High land au 20ème, et d’un livret comprenant 6 textes extraits du journal de voyage dans les alpes bernoises de G.W.F. Hegel et de 6 images tirées sur papier calque, le tout sous reliure japonaise. L’ensemble est présenté dans un coffret en bouleau et polyrey gris fumée. »
F.V.A : Vos paysages sont-ils post modernistes ? Quel est votre propos sur la construction des images et les algorithmes 3D des logiciels du traitement de l’image numérique et leur relation au référent ?
Lionel Bayol-Thémines : « Je travaille sur la vérité des images. C’est un double jeu. Je regarde l’intérieur de la photographie et le post photographique. Je photographie l’herbe, le bord de mer, les nuages… Aucun élément extérieur à l’image originelle n’est rajouté. En fait je réorganise, j’organise autrement les pixels de l’image originelle en jouant avec les algorithmes de révélation des images. La nouvelle image numérique créée est composée à partir de la matière numérique elle-même, du même nombre de pixels. Ces jeux, ces modifications créent une symbiose entre la réalité et la virtualité. Ce sont des paysages post-photographiques et post modernistes. »
F.V.A : Que montrent vos paysages ?
Lionel Bayol-Thémines : « Les paysages réels deviennent des paysages « inventés ». Ils portent la trace de l’altération de notre écosystème. La nature souffre de l’industrialisation de l’homme, de ses excès. Elle se détériore lentement, inexorablement. J’offre une vision accélérée de ces mutations silencieuses. Je montre au sein de la même photographie une forme d’une autre nature liée aux pratiques humaines, à la pollution. Ces deux formes de nature ici s’affrontent dans le même espace photographique. »
F.V.A : Lionel Bayol-Thémines, vous fabriquez des images, réalisez des vidéos, mais certains de vos paysages photographiques deviennent des sculptures, des objets photographiques qui jouent avec la matérialité de l’image…
Lionel Bayol-Thémines : « J’ai construit un ciel hypothétique avec Into the cloud (2014). Cette installation est composée de 24 cubes de béton fixés par l’arête et vissés au mur. Chaque face de cube est marouflée d’une image de ciel. Ce sont comme des morceaux de ciel jetés au mur. En fait, il s’agit d’une optique inversée. On a l’impression que les morceaux de ciel tombent, tels des pixels de ciels sortis d’un écran. Avec l’installation High Land (2015), les photographies déployées en volume se présentent comme l’exploration d’une autre perspective de la vue de montagne. Comme le peintre Gustave Courbet lorsqu’en 1877 il représenta son Grand Panorama des Alpes, les Dents du Midi sous un angle inattendu. Cet objet photographique vue de profil évoque une forme d’onde, comme si la menace des changements climatiques se propageait symboliquement vers des territoires encore épargnés. »
F.V.A : Le paysage sous vos doigts numériques de photographe se construit, se déconstruit, semble toujours en mouvement….
Lionel Bayol-Thémines :« Par exemple Geodesy (2015) est composé à partir de paysage classique du bord de mer. J’interviens sur l’image, je découpe le ciel, le sol, les roches… Je casse la perspective et lui donne une autre orientation tel un temps intermédiaire de la construction de l’image du paysage. Ce bloc saturé de noir c’est la matérialisation de l’érosion d’un paysage toujours en mouvement. Je donne à voir le mouvement de la tectonique des plaques. »
F.V.A : Low Land (2014) semble nous représenter un paysage victime d’un trouble du rythme cardiaque, un rythme sinusal…
Lionel Bayol-Thémines : « (sourire) Low Land est une série composée de 8 photographies. Ces paysages sont créés par la modification du codage numérique de l’image originelle. J’ai joué sur le code de révélation informatique de la photographie, comme je vous l’expliquais tout à l’heure. Entre vision post-apocalyptique et images virtuelles, ces étranges paysages vidés de toute présence humaine, donnent à voir une nature artificielle. Ici je matérialise la « dénaturation » de l’environnement. Je mets en lumière les mutations – a priori invisibles – des conséquences des pollutions industrielles, des émissions radioactives, ou encore des bouleversements climatiques qui engendrent d’improbables jungles dans des zones tempérées. »
F.V.A : Et Beyond the Time (2015) ?
Lionel Bayol-Thémines : « Aujourd’hui les fumées, les brouillards s’accumulent. L’opacité de l’atmosphère, sa pollution fait partie du nouveau paysage des mégapoles en expansion. Ces pluies acides sont génératrices d’un smog que j’ai ici pixélisé, pour matérialiser, tel l’écoulement du sable d’un sablier, l’accumulation des polluants dans l’atmosphère construisant ces nuages asphyxiants. Mais la nature se révolte aussi sans signe annonciateur. La série Tsunami (2014) nous interroge sur la puissance destructrice de la nature, sur sa rébellion envers l’homme. »
Lionel Bayol-Thémines nous offre une vision singulière de la photographie post-moderniste. Il orchestre avec une féérie paradoxale dans cette œuvre mémorielle d’anticipation une partition du livret de l’altération de notre environnement. Symbiotiques, ces paysages fictionnels de Silent Mutation nous révèlent la possibilité d’une île infinie dont la beauté métastasique ne cessera de nous interroger sur l’effroyable et silencieuse mutation de notre espace de vie.