« Mandrake a disparu » est le deuxième volet d’un cycle d’expositions poursuivant une réflexion sur le régime d’apparition des images.
La figure de l’artiste magicien est séduisante pour sa capacité à évoquer des oeuvres faisant surgir l’illusion, modifiant les perceptions ou brouillant les frontières entre réel et fiction. Elle permet également de réunir des approches diverses, participant parfois de rituels sociaux ou religieux, et de se détacher d’une histoire uniquement occidentale en repensant autrement la question de l’aura . L’exposition Mandrake a disparu montée par Olivier Marboeuf à l’espace Khiasma s’est intéressée à des pratiques singulières qui jouent avec la nature paradoxale de la croyance lorsqu’elle se maintient en dépit des connaissances. Revenant à une longue tradition, les artistes rassemblés ici offrent un territoire où savoir et expériences sont en tension.
La lenteur et une présence sonore ténue sont déterminantes dans les videos d’Ismaïl Bahri (Film et Dénouement) et de Maïder Fortuné (Carrousel). Un coup d’oeil ne suffit pas à percevoir les pieces, il faut laisser au regard le temps de s’installer, de se déciller, de s’immerger dans les images qui se déploient et entrouvrent des espaces familiers et pourtant décalés. Un fil noir traverse et vibre dans un paysage enneigé avant que ne surgisse un corps le nouant peu à peu (Dénouement). Dans Carrousel, un long travelling latéral nous promène dans un intérieur familial où des zones de netteté font jaillir brièvement des détails à la manière d’une plongée dans l’épaisseur des souvenirs. Le regard suit des mouvements traversant les écrans de haut en bas ou de gauche à droite, assistant à des phénomènes d’apparition et de disparition sans recours à des manipulations numériques. Il s’agit seulement du déroulement d’un journal, de l’enroulement d’un fil ou de variations sur la mise au point, autant de procédés d’une grande simplicité.
La révélation du trucage peut être simultané à l’illusion sans pourtant l’empêcher d’avoir lieu : c’est ce que Badr el Hammami réussit avec une installation qui nous fait voir des bougies allumées et dans leur ombre un paysage urbain incendié. Les jeunes artistes rassemblés par Olivier Marboeuf ont comme aînés Mélies mais aussi Markus Raetz ou Pierrick Sorin, inventant des formes poétiques avec des procédés de mise en abîme de la perception. Mais la légèreté et l’humour toujours présents chez eux ont fait place à des méditations sur des états de crise, qu’ils soient individuels ou collectifs, psychologiques ou politiques. Alexander Schellow a dessiné de mémoire les variations du visage d’une femme de 96 ans atteinte d’Alzheimer, et la longue animation qui en résulte parvient à rendre compte de la complexité d’une présence dégageant des signes de vie forts tout en étant aussi absente aux autres. Le choix d’un trait haché et d’une animation entrecoupée transmettent cette idée d’une mémoire défaillante.
Si Mandrake a disparu et avec lui la magie du divertissement, le régime des images artistiques relève bien encore aujourd’hui d’une relation de croyance particulière entre des spectateurs qui acceptent d’être immergés dans des expériences ténues, fragiles mais qui résonnent longuement.