Matthieu Gicquel, Éloge de l’instant

La lumière traverse le cube. Des détails se révèlent un à un : ici une bulle légère qui s’élève, là un reflet changeant. Chercher à comprendre – puisqu’il s’agit bien ici de toucher au sensible de la matière, de l’œuvre – l’art verrier de Matthieu Gicquel, c’est d’abord et avant tout suivre la voie tracée par Junichiro Tanizaki dans « Eloge de l’ombre ».

Pour lui,  » […] nous oublions ce qui nous est invisible, nous tenons pour inexistant ce qui ne se voit pas. » ; or toute la volonté du créateur tient dans cette nécessité de nous dévoiler ce qui nous semble absent, de donner substance au mystère à partir d’un matériau si commun que nous n’y prêtons plus attention. »

Deux mots-concepts, d’origine japonaise, forment le socle originel de la philosophie artistique de Matthieu Gicquel : wabi-sabi et Yûgen. Le premier est cette idée forte que la beauté se tient dans le banal, le quotidien, le vil. Aux yeux européens elle paraît de prime abord difficile à appréhender : quelle beauté dans un bol ébréché, une usure prononcée ? Mais pourtant… Le quotidien, l’usuel contiennent en eux du sublime. Mais l’évidence de la beauté, sa subtilité sont intrinsèques à l’objet et surtout au regard qui sera porté sur celui-ci. C’est là toute l’idée développée par le Yûgen : chaque objet est un univers en soi, mais c’est au regardeur de se laisser happer par son mystère.

A la croisée de ces deux concepts, il est question ici d’un état méditatif, d’une prise de temps, d’un ralentissement. S’assoir, contempler une des créations de Matthieu Gicquel, se laisser porter par une couleur changeant avec la lumière, par un reflet, un rayon. Un cube c’est un instant où l’esprit s’évade, découvre des détails, des variations infimes. Un cube c’est un rayon de soleil sur la peau un été au réveil. Un cube c’est une simplicité formelle extrême associée à la complexité de l’âme et du regard. Et rejoignant Léonard De Vinci, Matthieu Gicquel nous amène à cette vérité que la simplicité est la sophistication suprême.

Et par celle-ci, l’art du créateur nous pousse à l’ouverture de l’esprit.
Pierre Soulages dira que « Le sacré, (il) est là pour tout le monde. Y compris pour les gens qui ne sont pas croyants. », de fait il y a une dimension sacrée dans l’œuvre du verrier en cela que par sa fonction contemplative, elle amène à une élévation de l’âme, à un dépassement du terrestre (pourtant bien présent dans le matériau même, dans son pragmatisme) pour toucher au spirituel.
Il reste donc maintenant à prendre le temps de guetter, d’appréhender ce que nos yeux ne peuvent pas voir et contempler, enfin, pour découvrir au-delà de ce qui n’est plus qu’un simple cube en verre.