Pierre Olivier Arnaud a exposé à la galerie Art:Concept un ensemble d’images d’un genre particulier puisqu’il ne s’agissait pas de photographies encadrées et accrochées au mur mais de tirages sous forme de posters ou de format A4 directement collés sur les murs. Cette manière d’aborder l’image ne relève pas d’une forme de facilité, mais vise à interroger les formes de notre fascination face aux images qui enivrent nos vies.

Bâtiments, rues, formant des sortes d’anti-paysages, détails divers, photo d’images prises dans des journaux, reconstitution de visuels à partir de mots entendus, comme le drôle « the prewiew was tomorrow », les photographies que nous a donné à voir Pierre Olivier Arnaud ont pour vertu essentielle de jouer sur le réflexe de reconnaissance qui caractérise le fonctionnement de notre regard. C’est même cette dimension particulière qu’il interroge ou plutôt met en scène. Cela fonctionne de manière singulière car il s’agit à la fois d’un piège et d’une sorte de processus de révélation.

Le piège tient dans le gris qui littéralement enveloppe toutes ses images. En fait, on pourrait dire qu’il constitue leur dimension. Ce gris n’est pas le résultat d’un jeu réglé de contraste mais une sorte de principe, celui qui assure à l’image sa réversibilité. Elle est ainsi, mais pourrait être autrement. Elle est représentation, mais pourrait être processus d’effacement. Les palmiers montrés en positif et négatif nous donne la clé de ce processus. La loi est la suivante : ce qui s’efface apparaît ce qui apparaît s’efface. Ce que l‘on appelle l’image se situe au point exact où cette inversion se produit ou plus exactement dans la zone de sensibilité où cette inversion se produit. L’image « est » cette zone. En deçà de cette zone, pas grand-chose à voir et au-delà non plus. Ou alors autre chose et ce sont alors des mots, des mots gris qui semblent clignoter dans le lointain de la mémoire ou des mots en néon qui eux aussi clignotent mais en éblouissant.

Ainsi se dessine le champ perceptif qu’interroge Pierre Olivier Arnaud. C’est celui qui s’étend de la mémoire improbable à la perception immédiate, celui qui va de la sensation au processus par lequel l’image devient image dans notre cerveau c’est-à-dire objet de réminiscence possible. C’est alors que les mots prennent leur sens comme incarnation de la forme « concept » des objets mentaux comme les nomme Pierre Changeux, cet ensemble d’éléments qui peuvent être rappelés par et dans le cerveau sans le support d’une perception directe.

L’image, les images se situent à cette frontière précise entre la nécessité d’une perception directe et la formation de strates mémorielles susceptibles d’être plus tard rappelées à l’esprit sans passer par la perception. L’image oscille donc en permanence entre disparition et inscription. Dans un cas, plus rien à voir, dans l’autre plutôt des mots à lire. Entre les deux, cette grisaille de l’instabilité, cette hésitation perceptuelle dont la dimension propre est bien le gris, cette zone où ne règne pas encore la transmutation du visible en lisible mais où ne règne déjà plus la loi de la reconnaissance adaptative liée à la perception directe des objets.

L’image est donc une sorte de moment transitoire que nous nous efforçons de rendre durable et qui, devenu quasi permanent dans notre environnement actuel par sa présence massive, modifie non plus seulement notre perception de la réalité mais le fonctionnement de notre esprit. C’est ce trouble nouveau et dont les effets sont encore inconnus qui constitue le véritable sujet des œuvres de Pierre Olivier Arnaud.