Nos retrouvailles avec les prémisses de la photographie contemporaine

Depuis 1984, le musée d’Aurillac a entrepris de constituer une collection de photographies contemporaines, mal représentées à l’époque dans les collections publiques. Les premières acquisitions ont principalement porté sur la photographie couleur européenne et américaine. Au fil des années, des achats et des dons, la collection s’est progressivement diversifiée et compte actuellement 800 œuvres. Pour l’été Lilian Froger a constitué un choix de 80 tirages réunis sous le titre poétique « Et au milieu coule une rivière » avec des oeuvres peu montrées à ce jour. L’ensemble offre une occasion remarquable de relire l’histoire récente de ces années de constitution de la photographie contemporaine.

En France les années 1970 ont vu le début des collections photo du Musée Réattu, du Musée Nicéphore Nièpce de Châlon sur Saône et du Musée de Strasbourg. Les années 1980 ont marqué encore un tournant dans les pratiques de l’image argentique, c’est le moment où l’institution se développe grâce à des initiatives comme celles d’Alain Desvergnes pour l’inauguration de l’Ecole Nationale de la Photographie qui n’a pas encore le statut supérieur ou de Jean Luc Monterosso avec Paris Audiovisuel . Au privé on peut saluer l’action des galeries 666 (Carol Marc Lavrillier), Texbraun ou Michelle Chomette. Les Cahiers de la photographie apportent un appareil critique à la hauteur de la diversité des nouvelles pratiques que l’on trouve rassemblées ici.

Le musée en lui-même, les Écuries et la Sellerie abritent depuis plus de trente ans les oeuvres de William Eggleston, Helen Levitt, Luigi Ghirri, John Batho ou encore Joel Sternfeld. La sélection présente aussi bien ces grands noms que des artistes travaillant aux frontières entre photographie et peinture ou des mises en scène plus ou moins fictionnelles. Expérimentations poétiques ou plastiques côtoient des approches plus documentaires. Le titre est tiré d’une nouvelle de Norman Maclean, Et au milieu coule une rivière (1976), et de son adaptation à l’écran par Robert Redford en 1992, aux retrouvailles de deux frères répondent ici celles de cette collection et du public.

Quelques images en noir et blanc s’attachent aux corps et à leurs rapports amoureux dans les compositions de l’américaine Ernestine Ruben ou à leur dimension poétique avec la si regrettée Claude Batho. Les portraits hauts en couleur de la movida d’Ouka Lele répondent à ceux mis en scène et conceptualisés par un texte de Rip Hopkins. Pour Another Country il montre avec un humour grinçant les britanniques en France.

Les expérimentations plastiques mais purement liées au médium sont présentes quand Patrick Dolique scénographie les objets pour sa série Chop Suey ou que Tom Drahos fait pareil à l’époque avec les objets et les figurines bricolées. Une pratique similaire aboutit à des compositions tendant vers l’abstraction, on découvre ainsi les expérimentations des natures mortes d’Allan Chasanoff aux titres seulement numériques. La logique d’enregistrement purement photo est aussi présente avec l’exploit technique entre peinture et cinéma des Happy Days d’Alain Fleischer.

Les femmes sont bien représentées grâce on l’a déjà signalé à l’immense Helen Levitt, à Anne-Marie Filaire ou à Françoise Gimenez mais aussi du fait de la composition en nature morte à l’humour très noir de Shadi Ghadirian.On retrouve avec plaisir l’approche plus documentaire d’Edith Rous pour sa série Les Dépossédés.

Le recentrage sur les pratiques couleurs se fait à travers des supports et techniques fort différents : le tirage noir et blanc coloré aux crayons de couleur par Marc Le Mené ou Jan Saudek, le transfert de polaroid sur papier à dessin et leur sensualité corporelle que Paolo Gioli réalise, les tirages Fresson au charbon de Bernard Faucon , les cibachromes de Pascal Kern ou Nils Udo, les tirages couleur type C de Stanley Bowman et même des épreuve chromogènes d’après diapositive ou les précieux Dye Transfer de William Eggleston, et les plus récents jet d’encre sur papier baryté.

L’inscription de toutes ces pratiques dans l’art contemporain peut se manifester aussi par la présence de deux plasticiens tels que Vera Székely ou Felice Varini dont une oeuvre grand format clôt le parcours du visiteur. Ce retour sur oeuvres montre comment ces projets singuliers tiennent la distance et nous questionnent sur les pouvoirs nouveaux de la photographie qui continuent de se développer aujourd’hui.