Jean Paul Curnier s’en est allé un jour de Saturne, père des dieux de l’Olympe. Ce jour-là l’aurait fait rire. Pas nous, pas moi qui le connais depuis 25 ans, et depuis, ô Kronos, ô mon Saturne, aucune interruption temporelle dans cette amitié. Une complicité à tout moment pour tous les événements qui se présentaient sous nos yeux.
Des moments festifs, plus graves, douloureux ou pas. Des échanges quotidiens avec tous les moyens de communication et de partage : téléphone, emails, lettres, enseignement et autres débats, conférences, textes, repas, expositions, arrivées du Tour de France, voyages, regards portés vers ce que l’on considérait comme essentiel, même s’il s’agissait d’un simple geste, telle passe d’un torero ou récemment d’une note jouée à la guitare par Chuck Berry.
Aujourd’hui ses mots, ses textes me reviennent dans un concert harmonieux : récits d’Afrique du Sud, portrait d’un village dans le Sud de la France, le Tour de France (encore), les élections, Philosopher à l’arc, un texte sur le torero mort de Manet, La piraterie dans l’âme (son dernier et puissant essai sur la démocratie) ou bien « Montrer l’invisible », son livre sur l’image considérée comme un mode de pensée et dont Jean-Luc Godard s’inspirera pour le film « Notre Musique » (où Jean-Paul jouera son propre personnage).
De tout cela, aujourd’hui, je vais en être privé. Saturne m’a joué un sale tour. Il faudra alors faire avec cette absence, la désigner, la montrer et faire perdurer la pensée d’un homme de paroles, c’est-à-dire qui tient parole.
Jean-Paul ne comprenait pas trop « Adieu au langage » de Godard. Pas le film, son titre. Moi non plus. Mais maintenant, je crois avoir compris. Misère !