Les promenades extrême-orientales de Vendôme, un must estival

Les Promenades photographiques sont l’un des rares festivals de l’été à se tenir malgré la pandémie, cette 16 ème édition a lieu à Vendôme jusqu’au 20 septembre. Elle réunit des photographes internationaux qui explorent les multiples facettes de l’Extrême Orient. Pour poursuivre leur action elles se développent en Région, avec cette année la collaboration du Château de Meslay, la Fondation du doute à Blois et le Jardin du Plessis à Sasnières. Plus d’une trentaine d’artistes sont exposés dans des accrochages en plein air et dans des lieux dédiés. La muséographie fait toujours preuve d’un réel professionnalisme.

Le château de Meslay accueille dans le parc les tirages d’une réelle puissance de Virginie Sueres, si le thème du corps féminin flottant entre deux eaux reste un cliché, elle le dynamise par la mise en diptyque ou triptyque avec des éléments floraux ou d’inquiétantes végétations sous marines . Au Parc des Tilleuls en centre ville Jihyun Park , prix Mark Grosset 2019, opère de la même façon, en se focalisant sur les mouvements fluidifiés des corps et en réunissant cette fois ses images en fresque. Dans les cuisines du château on est séduit par les cyanotypes de L’herbier bleu d’Aline Héau , que les tirages sur verre soient posés sur une étagère à côté de vieux fers à repasser ou qu’ils soient installés face à un soupirail pour profiter de la lumière ambiante.

Akihiro Shiroza concilie son métier d’entomologiste et son goût des images scientifiques pour réaliser des vues aux rayons x de poissons, retravaillées chimiquement et numériquement pour élaborer sa Glorification of the Dead. Au Musée de la ville les espagnols Anna Cabrera et Angel Albarrán proposent une vision globale du monde en illustrant la métaphore de La Bouche de Krischna. Leurs images sombres et dotées d’une riche matière faite de procédés anciens mêlent destirages au platine ou au palladium s’appliquant sur des papiers japonais, où ils ajoutent pigments, minéraux ou feuille d’or. `

Un important apport technique issu de la photographie médico-légale mélange infrarouges et ultraviolets dans les tirages de Lawrence Sumulong qui constituent sa série documentaire Manila Gothic de 2017 pour témoigner des ravages de la drogue aux Philippines et de la lutte des autorités. Le président Rodrigo Duterte n’a pas hésité dans cette action à faire tuer à côté des trafiquants de simples consommateurs, plus de 7000 morts en tout depuis 2016. Des légendes précises accompagnent ces tirages et sont complétées par des témoignages manuscrits des victimes ou de leurs proches. L’étrangeté des couleurs déréalisent les scènes et accentuent leur caractère dramatique où la compassion est omniprésente, dans les portraits des défunts comme dans la continuité du quotidien. Le jaune métallique qui domine la série a une dimension symbolique dans le pays depuis 1986 comme représentant l’unité du peuple contre la loi martiale du régime Marcos .Sans conteste a série la plus convaincante et la plus bouleversante de cette programmation.

Pourtant la concurrence y est importante y compris dans l’approche des fictions documentaires. Emilie Arfeuil , photographe, et Alexandre Liebert remettent ici en scène Scars of Cambodia. Un passé sous silence. Lors de plusieurs voyages au Cambodge ils rencontrent Tut, un survivant du sanglant régime Khmers Rouges. Ils vont lentement gagner sa confiance et entrer dans un long dialogue avec lui qui par delà la langue se nourrit de mimes et de ce que les danseurs et performers pratiquent comme ré-enacment . Cette complicité qui se tient dans l’ombre de sa demeure met en avant le corps torturé dans une grammaire gestuelle minimale où l’empathie s’incarne avec subtilité dans l’intimité partagée.

La danse est aussi présente dans la pratique de Kensaku Seki avec sa série Gokab (Chance) qui illustre les liens de jeunes du Bhoutan avec le hip hop pourvoyeur possible d’un avenir meilleur. De grands ensembles photo-graffités entrent en synergie avec des portraits revendicatifs de cette liberté et de ces espoirs. L’ensemble est tonique et nous oblige à une lecture décalée du fait des formats géants.

Pour rester critique vis à vis de cette manifestation exigeante on peut se demander quand ses graphistes accepteront que les textes en jaune sur fond blanc sont à peine lisibles. Dommage pour la communication. Et faute partagée entre les programmateurs et l’artistes pourquoi les sombres tirages nocturnes de Marvin Tang sont ils protégés par une vitre qui en empêche toute lecture dans une multiplication des reflets tous azimuts. Ce travail subtil et aux lumières somptueuses sur des lieux précaires de Singapour mérite un vrai regard.

Cette édition est l’occasion de renouer avec deux oeuvres d’artistes majeurs, l’australien Max Pam et l’américaine Cuchi White récemment décédée. Lui rendre ainsi un hommage est tout à fait mérité. On peut trouver dommage le parti pris de réunir les oeuvres par sujet, géographique ou thématique. Cela rend la vision de la photographe un peu trop formaliste et nous avons du mal à isoler les grandes images qui y sont intégrées, pourtant elles sont nombreuses et révèlent avec intelligence et subtilité Les incongruités du réel comme le titrent les deux commissaires invitées.

En fonction du thème il est logique que les organisateurs aient pensé à Max Pam dont le livre le plus célèbre Going East, est le récit imagé de ses voyages en Asie durant les années 1970/1980. L’ensemble ici présenté met en espace des images de son ouvrage plus récent Sea of Love paru chez Bessard.
Il y interroge non sans humour la condition humaine, le désir, la famille, la particularité territoriale et l’altérité. Il le revendique comme une cartographie de l’émotion. La scénographie jouant des formats accentue ce double caractère critique et passionné. Une relecture passionnante.

Pour conclure le grand coup de coeur de ces Promenades est l’inclassable travail de Laura Bonnefous qui joue des critères plasticiens, des canons de la photo de mode et d’une approche paysagère qui met en tension les corps de ses modèles et leurs vêtements stylisés. Beaucoup de ces oeuvres fonctionnent en diptyques horizontaux ou verticaux. Un dialogue plastique subtile instaure une symphonie de lignes colorées issues de la matière du vêtement et des composantes topologiques des paysages. Si sa série s’intitule Failles chaque composition duelle cherche de subtiles passages de matière, de lumière ou de couleur pour en franchir l’espace. Des triptyques avec une image centrale un peu plus grande suggèrent d’autres dynamiques entre corps exposés et sites clichés. Si beaucoup de corps sont fragmentés sur des gestes suspendus les rares visages scénographient des modèles d’origine asiatique d’une grande beauté. Ils complètent ce voyage poétique sur l’île de Kyushu, une région volcanique naviguant sans cesse entre éclat et apaisement. Chaque oeuvre suscite un choc esthétique et nécessite une lecture attentive et renouvelée loin des critères attendus de telle ou telle pratique professionnelle de la photographie. On attend avec impatience le livre regroupant les oeuvres rares, il est à paraitre chez H2L2.

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