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Revue d’art depuis 2006

OH SE-YEOL , L’enfance de l’art

Plus raffiné que brut ( même s’il peut évoquer au regardeur l’art brut ) l’art du coréen Oh Se-Yeol joue avec maestria sur les apparences de la naïveté ou de l’ingénuité.

L’Enfance de l’art

La part d’enfance qu’il révèle n’est pas une innocence qui serait miraculeusement retrouvée, c’est un état-limite de la perception attirée vers le brut des sensations qui fait se côtoyer avec bonheur l’abstraction du graphisme des nombres et la figuration hésitante du dessin. Dans sa peinture, la suite numérique des chiffres les fait apparaître pour ce qu’ils sont immédiatement : des formes au tracé malhabile qui se suivent comme des insectes pour coloniser l’espace du tableau.

Gratter et gribouiller

Le tableau noir, cette tabula rasa originaire du monde scolaire d’antan, est astucieusement subverti par l’artiste quand il utilise, plutôt que de la peinture, des cartes à gratter. Les chiffres qui surgissent par grattage en blanc sur fond noir ne sont pas tracés mais sont découpés, comme malhabilement dessinés, sans doute volontairement. La gaucherie de l’artiste est-elle volontaire ? On ne peut que le supposer. La part d’enfance de ses peintures colorées évoque Miro ou certains dessins d’enfant, les aplats colorés ignorent la perspective, les personnages flottent en suspens comme des pantins dérisoires. Vouloir être spontané est un impératif paradoxal – comme l’était chez Rabelais le commandement « Fais ce que tu voudras ». La liberté ne se décrète pas. Elle s’invente, et elle ne s’invite que par surprise. Oh Se-Yeol garde en mémoire un souvenir d’enfance précieux : avoir pu gribouiller sur les murs de son appartement. Ses études d’art n’ont fait que suivre cette pente ; même s’il a suivi un cursus académique et qu’il maîtrise les techniques picturales, il n’a adopté aucun code. Ses peintures associent le plus souvent des « gribouillages » graphiques et des compositions plastiques.

Un primitif moderne ?

Pour reprendre une formulation de Wilhem Uhde, Oh Se-Yeol semble être un « primitif moderne ». Ses goûts et ses références à l’art moderne occidental qu’il connaît bien précisent son ambition. Il aime en particulier Paul Klee, Jean Dubuffet le peintre plus que le théoricien de l’Art Brut, et surtout Henri Rousseau, cet ambigu croisement de naïf et de moderne qui fut qualifié à l’époque de Primitif moderne. Son refus de toute convention, de toute appartenance à un courant et sa singularité dans le paysage culturel de la Corée où il fit la guerre durant plusieurs années ont fait de lui un peintre à part, mais surtout un authentique artiste. Il a été capable de dépasser les normes culturelles d’Asie comme d’ailleurs et même de les transcender parce que ce qui le porte, ce qui le transporte vient d’une expérience spirituelle qui l’amène, dit-il « au-delà de la culture », d’une recherche fondamentale pour lui : celle du Vide.