Paul Pouvreau, Variations saisonnières

Paul Pouvreau déambule. Du moins ses photographies le donnent à penser. Dans les rues, il saisit le hors d’usage, l’abandonné, ces matériaux ou ces emballages délaissés, qu’on ne voit plus, à force de leur présence. Bousculant la profondeur de ces riens, il joue sur les rapports de surface, il en questionne les différents registres, ré-agence les signes qui font sens.L’image, précaire, en est alors l’événement, la conjonction improbable, le temps d’une prise, d’un concret surpris et soustrait au réel, d’une préfiguration, voire d’une mise en scène, et de l’aléa qui le scelle. Elle peut être ou ne pas être.

Là s’insèrent l’ironie et la dérision même du photographe, dans la fragilité contingente de sa maîtrise, dans l’intuition de l’événement presque insignifiant : une attache desserrée sur le vide du sol (Alpha, 2008-2015) reconfigurée en lettre grecque, un fragment de plastique blanc traçant un « E », l’eau écoulée du seau renversé de bouquets d’œillets esquissant l’ombre démesurée d’un autre bouquet de fleurs à capsules (Sans titre, 2009).

À chacun d’y démêler un micro-récit de l’instant, le début ou la fin d’une histoire, le vertige d’une allégorie de notre société ou de la métamorphose de l’objet. Dans le plat de l’image, l’effiloche du lien ne porte plus trace de l’objet qu’il servait à protéger, rien ne lui évite de se tordre dans les formes les plus variées, de se conformer à la rugosité et aux couleurs du sol et s’en défaire. Seul le promeneur photographe lui rend sens, non sans humour, lorsqu’un pas pressé, quittant le champ clos de l’image, signe et met en doute l’espace de la représentation, déréglant, l’espace d’un événement, la perte d’échelle, dépliant, le temps d’un événement, la planéité comme dans Why (2008-2009).

Dans la rencontre arrangée et casuelle, entre mise en scène et impromptu, d’une boite de conditionnement d’ampoule électrique et du sac plastique jaune qui la coiffe, du pot de terre et du sac imprimé qui l’enlace (Faits divers, 2003-2004), de sacs plastiques de couleurs et de motifs différents qui se couvrent, se serrent (Variations saisonnières, 2016), se superposent comme pour une affiche publicitaire de bijoux (Archi comble, 2004), se déploie la fantaisie du banal.

Paul Pouvreau assemble, attend, capture ces sacs plastiques vidés de leur contenu éphémère, ces emballages neutres ou accrochés encore aux logos de leur appartenance, torsadés, étirés, enroulés, entortillés, tenant et protégeant de leurs transparences opaques, les formes standardisées et normalisées comme les agrégats les plus variés de la marchandise. Ces sacs abandonnés creux de sens, d’histoire ou de mémoire dans leur réalité et leur désuétude utilitaires, du supermarché à la décharge sauvage, il les expérimente, les façonne par la disproportion de l’image, les affranchit, en jeux réciproques d’échelles planes, de leur dévalorisation ; il les ré-enchante en papier peint sur le mur de la galerie (Variations saisonnières, 2016), fond et support de portraits d’arbres, géométries rigides isolées dans leurs contextes de non-lieux.
Dans un dialogue sans concession du dispositif photographique et de l’image publicitaire, le sac-emblème de recyclage d’une marque de supermarché, gonflé et emporté par le vent, flotte comme un Étendard (2007) au dessus du fleuve, dans sa symbolique florale antinomique et ambivalente de la consommation et des pollutions qu’elle produit.

Dans cette démarche documentaire de l’agencement et de l’aléatoire, de la préfiguration et du hasard, le photographe rend compte d’une certaine nomenclature des signes du contemporain où le publicitaire et ses déclinaisons font sens. En utilisant simultanément les quatre mines d’un crayon à quatre couleurs, Paul Pouvreau nivelle le fond de placards de supermarchés, en dissimule les écritures, détourant les objets de consommation, morceaux de viandes et emballages alimentaires ou autres (Pique-nique aux champs, 2010), il brouille le sens attribué par le publicitaire, créant une représentation qui, selon l’humeur du visiteur, le laisse à sa propre récupération vers une étrange et inquiétante familiarité ou vers les mosaïques antiques et les tableaux contemporains de « sols balayés ».

Alignés et assemblés sur un emballage carton déplié sur le sol et photographiés en noir et blanc avec les ombres étirées, les emballages carton prennent la dimension utopique d’une architecture minimale, d’une cité imaginaire ou celle d’une maquette d’habitat (Archi comble, 2011-2012), libre au visiteur de choisir l’échelle de sa métaphore, de déjouer les normes de la standardisation, dans le réagencement des signes de la vanité marchande (images, logos, publicités, textes…) ou dans le clin d’œil à l’histoire de l’art (Passé simple, 2014).
L’exposition se conclut, ou plutôt se réamorce, par un hommage en jeu de mot, aux récits et aux compositions absurdes de Francis Masse, (À la masse (hommage), 2015), avec une installation vidéo qui confronte en deux écrans le portrait immobile d’une belle endormie dans un train et les mouvements démultipliés en une vingtaine d’images carrées d’un oreiller dont les plis semblent animer la respiration.