Paul Rebeyrolle ou la beauté de l’effraction.

Il y a des univers qui dérangent, des formes éventrées, des corps sans peau dont on voit l’ossature, du sang. Il y a ces cris des suppliciés que l’on devine et que l’on entend presque. Il y a ses baignoires pleines, ses fauteuils de juges, cette nourriture si terrestre, ses seins, ses fesses, ses culs de singe… Il y a ce point de vue qui déchire la réalité et qui jamais ne la représente. Il y a ces mises en scène de la loi, de la torture, de l’enfermement, de la nature, de l’amour. Il y a cette palette de couleurs si douce, sans aucune complaisance, sans jamais de satisfaction.

Il y a cette grandeur pour dénoncer la l’étroitesse d’une société qui a asservi l’homme à ses convenances. Il y a cette animalité sans laquelle l’homme ne sera pas homme. Il y a ces distorsions de corps, ces conglomérats de matière, cette vermiculite chargée de colle, ces grillages. Il y a surtout cette lumière dont Chambord, la royale presque pâlit. C’est au deuxième étage du château, sous les voûtes à caissons Renaissance que le Domaine national de Chambord, sous la direction de Jean d’Haussonville, a ouvert ses portes jusqu’au 23 septembre 2012 à l’un de nos plus grands peintres de la seconde moitié du XXème siècle.

C’est en effet la première grande exposition monographique de Paul Rebeyrolle organisée depuis l’exposition de 1979, au Grand Palais, à Paris. Plus de cinquante œuvres, sur près de 900 m2 d’exposition, magnifiquement orchestrées par l’œil expert de Jean-Louis Prat, directeur de la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence pendant 35 ans.

Paul Rebeyrolle est né en en 1926 à Eymoutiers en Haute-Vienne. De son enfance, meurtrie par la maladie : son état de santé nécessite une immobilisation totale pendant cinq ans, il gardera les paysages champêtres, les arbres, les animaux, la terre Limousine. Ses parents, instituteurs de la République lui apprennent à lire. Il dessine et veut devenir peintre. A l’âge de 18 ans, il monte à Paris par le « premier train de la Libération ». Il parcourt les galeries : Soutine, Picasso. Il découvre le Louvre en 1947, quand le musée ouvre à nouveau ses portes. Révélation des Vénitiens, des Rubens, des Rembrandt… Il s’engage, devient membre du Parti Communiste qu’il quitte en 1956 à l’invasion de la Hongrie et en réaction à la position ambiguë du PC face à la guerre d’Algérie. Engagé, il le restera toujours. Son arme est picturale.
« Pour revenir à une notion simple, je me bats contre le décoratif, tu l’as senti, parce que je crois que la peinture, c’est le décoratif plus autre chose. C’est cet excès qui compte. Il faut qu’un tableau soit non seulement un beau et bon tableau, mais surtout qu’il aille au-delà du beau et du bon, avec une portée paroxystique qui t’empêche d’aller tranquillement sur des sentiers battus ou des demi-mesures » Propos de Paul Rebeyrolle recueillis in Paul Rebeyrolle la peinture hors normes, conversation avec Francis Marmande, 2009 Musée des Beaux Arts de Valenciennes.

En 1967, il utilise déjà son procédé d’insertion d’objets à la surface même de la toile. Il y intègre les matières du monde. « De ces amalgames surgissent des images qui affirment la résurrection de la matière, par la même de la peinture. » Jean-Louis Prat Les corps à corps de Rebeyrolle in catalogue de l’exposition, p.13.

Paul Rebeyrolle n’avait aucun carnet de croquis. Il ne travaillait qu’à la mémoire visuelle. Sur les huiles, les colles, les essences, les acétates, Francis Marmande, professeur de littérature à l’Université Paris-Diderot et ami du peintre, nous rappelle que Paul Rebeyrolle était « intarissable ». Travailleur infatigable, il aimait à retrouver son atelier de Boudreville en Bourgogne tous les matins : « Il faut qu’il y ait une joie de peindre ».
Pourtant Paul Rebeyrolle nous malmène. Ses grands formats nous obligent à voir une réalité, un système par trop « autofage ». Ils nous déroutent, abattent nos conformismes, nous obligent presque à détourner les yeux, tant certaines scènes sont violentes « Suicide n° 3 » , « L’Agression », « Les Magistrats II » (1990), « Aliénation totale » ou « Nu aux ecchymoses » (1980) : « Il faut que la peinture alerte » se plaisait-il à dire …mais le souvenir d’un bleu outrancier, l’éclat d’un rouge sang, la présence d’un jaune mimosa, la violine d’un grain de raisin nous ramène à la toile.

Dès 1968, il peint un cycle de séries. Chaque titre, reflet de ses engagements, est une « Splendeur de la vérité » : « Faillite de la science bourgeoise » (1973), « Natures mortes et pouvoir » (1975), « Les Evasions manquées »(1980-1982),« Le Sac de Madame Tellikdjian »(1983-1984) , « Les Panthéons » (1990-1991), « A propos de Courbet » (1993), « Bacchus » (1998), « Le Monétarisme »(1999) pour n’en citer que quelques uns.
Peintre de la monstruosité de notre civilisation, sans aucune concession, Paul Rebeyrolle brise les clôtures, fracture, pénètre les domaines réservés de la loi et ses « Magistrats » (1991), série « Les Panthéons » Peinture sur toile, Technique mixte (275 x 275 cm), se délectent, assis confortablement dans de larges fauteuils noirs, tandis qu’un pauvre bougre se débat dans une baignoire de jugements. Légitimité éventrée.

Peintre de la faune : vache rouge, sanglier gris, carpe, lapin…peintre de la terre, de la Nature, dont il saisit la vérité en osant le silicone. « Un arbre » (2000) Peinture sur toile, Technique mixte, (300 x 140 cm).
Peintre du grotesque, du monstrueux, de la « furor » des hommes, de la volupté aussi avec sa « Véronique 2 » (1994) série « Splendeur de la Vérité », Technique mixte sur toile (284 X 175 cm) femme debout tout en sein, en ventre, en ovaires laiteuses ; avec son « Hommage à Courbet n° 3 » (1993), Technique mixte sur toile (146 x 174 cm). Ventre offert, cuisses ouvertes, la femme écarte les poils de son pubis noir pour mieux montrer son clitoris. Chair de l’origine. Caresse du sublime.

Paul Rebeyrolle, « Le plus grand peintre de la chair en son temps. Ecchymoses comprises » Francis Marmande, Rebeyrolle au javelot in Catalogue de l’exposition p.67