En bon magicien, mais soucieux de démontrer le fonctionnement de ses trucages avant le spectacle, Pierrick Sorin réalise avec ce « melodramma giocoso » oublié de Rossini l’un des projets les plus ambitieux de sa carrière. Au théâtre du Châtelet, l’artiste applique à l’opéra certaines des méthodes qu’il a développé dans l’art contemporain, avec plus ou moins de bonheur.
Sur les planches du Châtelet, des maquettes sur roulettes sont amenées devant les spectateurs, celles-ci représentent le décor des nombreux tableaux de l’oeuvre. Elles sont installées sur scène et filmées « en direct » par trois caméras pendant que trois autres fixent le jeu des acteurs, acteurs qui évoluent à l’intérieur d’un espace scénique transformé en une grande « blue box ». Ceux-ci sont alors « incrustés » dans les décors par un jeu de superposition des deux types d’images filmées. Voici décrit le procédé de l’artiste, qui se donne à voir dans sa préparation et en tout transparence ; voici aussi l’un des ressorts comiques développés durant tout le spectacle.
Malicieux, Pierrick Sorin recycle certains ressorts qu’il utilise déjà dans l’art vidéo. Un petit personnage est posé sur une gazinière (et non plus sur un disque vinyle) et chante son amour à sa bien aimée avant d’être refroidi dans un frigo ; la banane sert douteusement de banc à l’un des personnages en conversation avec une demoiselle, métaphore d’une relation qui demande à être développé ; sur la scène du Châtelet, un personnage plonge dans une piscine et non dans une baignoire. La liste n’est évidemment pas exhaustive.
On peut évidemment comprendre pourquoi Pierrick Sorin a suivi Giorgio Barberio Corsetti dans la construction de la mise en scène de cet opéra et dans cette aventure qui pourrait donner une nouvelle dimension doublée d’une nouvelle fraîcheur au travail du vidéaste. Contraint de mettre son talent au service d’une histoire, celle d’un comte obligé de prendre femme s’il veut conserver son héritage, l’artiste perd une bonne part de l’efficacité et de l’intérêt qu’il possède dans le champ de l’art contemporain.
Le regard pointu et original que l’on retrouve dans le discours très particulier et très critique notamment sur le sens de la vie ou le milieu de l’art que Sorin développe dans ses propres pièces lui fait ici défaut.
La douleur de vivre qu’il assène à ses oeuvres mêlée à un penchant naturellement tourné vers le comique le place parmi les très grands, ceux qui savent faire rire en attirant notre regard sur la condition de l’homme.
En se mettant au service de la Pietra del Paragone, les trucages de Pierrick Sorin sont répétitifs et basés presque exclusivement sur des effets qui à la longue deviennent lassants pour le spectateur.
Reste l’invention d’un personnage, l’incroyable maître d’hôtel qui prépare les cocktails, lance les crêpes ou sort d’un évier, dont le rôle muet (et inexistant dans la version originale) fait immanquablement penser aux acteurs comiques du début du cinéma, et peut-être même aussi à un double de Sorin. Belle trouvaille grâce à laquelle l’artiste réussit à faire exister un de « ses Sorins ».
À part quelques métaphores et références plus fortes que les autres, dont celle d’une partie de tennis qui cite autant les Vacances de Monsieur Hulot que Blow Up, le travail de Sorin, une fois son effet passé, se révèle ici peu intéressant. L’intervention du vidéaste permet d’amplifier certaines parties de l’oeuvre de Rossini ou de mettre en abîme certaines actions, mais au final, cet excès d’optique nous empêche de profiter de la belle musique du jeune Rossini dirigée par Jean-Christophe Spinosi. Ce qui est un grand défaut pour un opéra aussi léger soit-il.