Portrait de l’artiste en femme.

Annette Messager aime les archétypes, les symboles, les images qui font sens, et avec son exposition Comme si, elle joue de la métaphore et de l’analogie en instaurant une constellation sémantique qui s’apparente au surréalisme : dessins, filets où sont accrochés des objets divers, grandes inscriptions tissées, etc… Ce portrait de l’artiste par elle-même dissémine des indices comme dans un portrait chinois, en occupant l’espace muséal de scénographies et d’installations talentueuses.

Les interventions se succèdent en passant des plus récentes aux plus anciennes avec un fil rouge, au propre comme au figuré, qui tisse cet assemblage de créations en soulignant leur continuité. Des évocations mortuaires récentes, imageries contemporaines à la manière des danses macabres boltanskiennes, s’entrelacent au féminin pluriel avec des images fantaisistes de vagins ailés, d’escargots-seins et autres images érotico-poétiques.

Féminin pluriel

La question de l’identité ne pose pas de problème pour elle en réalité : « on vient de quelque part, on a un sexe, une histoire… ». Mais le féminin dont elle se réclame est pluriel. Il est traversé d’enfance, c’est celui d’une femme-enfant toujours éprise de merveilleux, de la profondeur des contes et des légendes, celle de Pinocchio en particulier. Elle invente des jeux de cache-cache, de marelle, elle dispose de jouets en peluche.
Et les façons de faire des femmes, comme l’art de broder et de coudre s’enracinent dans des pratiques populaires qui relèvent pour elle « d’une grande sophistication (…) en dehors des questions d’ego qui encombrent souvent l’art ». Voir son grand Hommage aux Couturières de 2014.
Elle s’inspire de ces savoirs familiers aux femmes pour produire des formes – telle Marguerite Sirven, l’experte brodeuse et dentellière de l’Art Brut. L’Art Brut est pour l’artiste une référence essentielle, et le fait que son exposition jouxte la section Art Brut du seul musée français qui accueille une importante collection d’Art Brut à partir de la donation de l’Aracine n’est pas pour lui déplaire. La donation de Michel Nedjar et de Markus Eager y est présentée ces jours-ci.
Féminin, l’art de Messager n’est pas un art qui « s’effémine », au sens où il s’amenuiserait, bien au contraire : avec le temps, il se développe et s’impose, il gagne en énergie, il acquiert de la puissance. Elle rebondit sans cesse, elle devient collectionneuse, glaneuse d’objets, elle s’intéresse aux animaux – avec en particulier La Revanche des Animaux (2019-2021) et elle s’invente en géographe expressionniste avec ses cartes de France.

La colporteuse de chimères

Les symboles et les métaphores enrobent de leur imagerie un réel incontournable qui trouve à travers eux les moyens de se dire sans se répéter et de se transmettre sans asséner de message. C’est le cas de la Pieuvre Cancer et de bien d’autres constructions imagées. L’artiste préfère rester dans l’ambigüité du « comme si » qui introduit sans cesse une part de rêve et de jeu : elle sollicite notre regard pour pouvoir rêver avec elle, grâce à elle.
Ce n’est pas rien de s’appeler Messager ! Je suis, dit-elle, « un messager sans message » … « une colporteuse de chimères… la messagère des fausses prémonitions, des souvenirs suspects ».

Ce tissage d’impressions qui relèvent de la fiction s’enracinent dans un répertoire de croyances. Des figures mythiques d’origine religieuse parsèment le parcours muséal : Jeanne d’Arc (Requiem pour Jeanne, 2021), Sainte Agathe, des crucifix…
Comme si, l’intitulé de l’exposition, s’inspire du roman de Gwenaëlle Aubry Personne (2009) dont le père s’inventait de multiples identités. Et chaque artiste est volontiers mythomane au sens propre : sa manie est toujours de se mythifier lui-même comme mythifier le monde qui l’entoure.