Premier retour sur Paris Photo et Nofound Photo Fair

Dans son installation au Grand Palais Paris Photo a gagné plus de visibilité, un public encore et plus large et un professionnalisme incontestable. Si les foires off se sont multipliés on regrette pour beaucoup l’absence de la même exigence. Il est ahurissant de constater dans des stands restreints installés dans des lieux peu hauts de plafonds des galeristes opportunistes qui prétendent défendre la photographie, ou même simplement la vendre, accrocher du raz de parquet jusqu’au top des cimaises des tirages de nombreux auteurs travaillant selon des esthétiques très différentes. Imagine-t-on un marchand de quatre saisons proposant en vrac dans un seul bac raisin, concombre , patates et ananas ?

De PhotoOff à la Bellevilloise nous ne retiendrons que le dialogue au premier étage de deux galeristes ayant suffisamment de respect des œuvres et de leurs auteurs pour ne présenter dans un accrochage impeccable qu’un seul artiste. La galerie Confluences de Nantes avait choisi la très grande portraitiste d’origine coréenne Ji-Yeon Sung. Lui faisaient face les autoportraits d’un jeune coloriste d’une réelle inventivité, Philippe Bernard, que la galeriste Basia Embiricos représente. Se jouant de l’ombre et d’une restitution du corps via sa chaleur spectrale il réussit à donner d’autres images de l’humain y compris dans son genre sexué.

Pour la seconde année Offprint sur le créneau très spécialisé des livres d’images à tirage plus limité reste un must. On se demande si sa co-présence à Paris Photo est vraiment un plus, de même qu’on a pu regretter que l’excellente foire Light dans le même domaine se joue dans les créneaux temporaires de la Fiac. Incontestablement NofoundPhotoFair, issue de la fusion du site Nofound et d’ Access et Paradox s’est largement détachée par son exigence et la qualité de ses participants. Elle revendiquait un double parti pris proche de l’art contemporain et soucieuse des expressions les plus radicales, notamment avec une orientation vers les « gender stories ».

La présence d’une galerie comme Claudine Papillon nous offrait le bonheur , toujours trop rare, de retrouver la sensualité colorée des tirages du sculpteur Javier Perez. Deux autres importantes galeries parisiennes, Pascal Vanhoecke et Frank Elbaz nous donnaient accès l’une aux corps clonés de Robert Gligorov l’autre au caviardage d’Ari Marcopoulos de ses images sur le catalogue de l’exposition d’ Andy Warhol au Moderna Museet, de Stockholm, en 1968. Le stand le plus original, le mieux agencé était celui que Bertrand Grimont, décidément en plein essor après la Fiac et Slick, offrait au dialogue destroy de Thomas Mailaender et Guillaume Constantin. En supplément la collection de Marty de Montereau nous offrait de nombreuses œuvres travaillant les subtilités des variations du genre sexuel. Enfin la revue Monstre et la galerie Van der Stegen nous initiait à l’univers âpre de Melissa Steckbauer.

Paris Photo proposait une nouvelle édition au Grand palais où la fragilité des supports traditionnels se plaisait à la clarté de l’édifice mais ne pouvait que souffrir de la forte lumière d’automne accentuée par les verrières. Ce qu’on gagnait en espace à scénographier se perdait sur la conservation. On a souvent, et à bon escient, opposé la logique mercantile des foires et salons avec le détachement muséal des autres formes d’exposition, de mises à vue des œuvres . Deux galeristes apportaient pourtant un démenti flagrant à cette dichotomie que les diktats du marché n’imposent pas obligatoirement.

La galerie Christophe Gaillard en faisant appel à une jeune curatrice, Muriel Berthou Crestey, proposait l’un des stands les mieux organisés et les plus originaux de la foire « Au delà de l’autoportrait ». Autour du dialogue fécond entre Arnulf Rainer et l’artiste bordelais Pierre Molinier, se trouvaient réunis et non pas seulement en figurants plusieurs jeunes artistes représentés régulièrement dans le lieu. L’exigence quasi muséale de l’accrochage rendait hommage à la singularité des œuvres, qu’il s’agisse des originaux du spécialiste du travestissement, de leur ré-interprétation par les dessins sur tirages du post body artiste autrichien. Les incises apportées par Thibaud Hazelzet et Hélène Delprat s’inscrivaient dans la continuité de cette interrogation sur la mise en valeur plastique du soi, sur cette extimité affichée.

Hervé Loevenbruck n’a plus rien à prouver dans le domaine de l’exigence de ses choix , comme de sa capacité à occuper un stand dans une foire avec l’intelligence curatoriale au service des œuvres. Depuis quatre ans qu’Edouard Levé a signé de son suicide le point final de son œuvre photographique et littéraire l’incurie institutionnelle n’a pas su trouver l’espace digne et le lieu afférent à un véritable hommage à la hauteur de son talent. Son galeriste a donc décidé d’occuper un très grand stand à l’entrée du Grand Palais pour rendre toutes ses dimensions à la radicalité de ses œuvres. Plusieurs séries se trouvaient présentées dans une parfaite logique et avec les éléments informatifs nécessaires à l’approche de la singularité de cette démarche. Un appareil critique simple et efficace en français et en anglais donnait accès à cet univers singulier. Chaque pièce trouvait sa place sur les cimaises sans empiéter visuellement sur ses voisines. Quittant le stand pour d’autres plus encombrés nous nous prenions à questionner cette expérience rare dans une foire de la subtilité d’une monstration hyper-professionnelle n’instrumentalisant ni l’artiste ni ses œuvres, satisfaisant l’amateur autant que le collectionneur, une générosité à expérimenter.