Premiers jours après inventaire

Ultimos Dias de Stéphane Le Mercier est une exposition à plusieurs facettes. Elle a lieu actuellement Au Bon Accueil, à Rennes. Sur une proposition d’Hervé Beurel, Stéphane Le Mercier présente des aquarelles (Vite) composées d’aplats monochromes et de locutions extraites en partie de médias internationaux, les moulages en plâtre d’emballages collectés dans l’espace public (La Reproduction) et le livre d’artiste (Gift), paru aux éditions P, texte combinatoire réalisé à partir de sa collection de cartons d’invitation.

La singularité du travail de Stéphane Le Mercier tient en ceci qu’il déplie, déploie et révèle à travers des éléments plastiques anodins issus de notre quotidien, et généralement non pris en compte, non vus faudrait-il dire, par nous les usagers. En effet, ces éléments sont considérés comme inutiles ou comme des rebuts et voués à prendre le chemin de la poubelle et de l’oubli. C’est dans cet interstice que Stéphane Le Mercier glisse le scalpel de son intuition, entre l’évidence de l’inutilité de ces objets pour un autre usage que celui pour lequel ils ont été conçus, disons envelopper des objets avant usage, et la forme de l’oubli qui est leur lot, puisque aussitôt ouvert, l’emballage est repoussé, rejeté, nié, oublié.

De cette posture commune à chacun, Stéphane Le Mercier fait le seuil d’une aperception nouvelle.
En moulant et recouvrant de graphite ces formes, et en les accrochant œuvres qu’elles sont devenues, il dit simplement : regardez ! Il y a quelque chose à voir. Voir quoi ? Et à voir où ?
Au mur, évidemment. Quoique ce ne soit pas si évident finalement. Car le mur n’est pas fait pour montrer de telles formes. Mais elles sont devenues des miroirs de l’envers et l’on peut accrocher au mur de tels miroirs. Même si cela fait un peu peur des écrans du néant, ces pupilles sans œil, ces gouffres de nuit.
Le « quoi » est plus compliqué. Car rien ne se reflète sur ces formes et en tant que telles elles ne sont pas non plus grand- chose. Pourtant on les regarde une fois accrochées et l’on se dit que oui, ce sont sans doute des objets, des choses.
Mais ce ne sont pas des objets. Au mieux des choses, mais alors, oui, des choses « en soi ». Issues de l’imagination pratique humaine, ces formes vides deviennent en quelque sorte pleines. C’est un peu comme si Stéphane Le Mercier tentait là de nous donner non seulement à voir une chose en soi mais à la penser dans l’espace.
Mais une chose en soi n’existe pas en soi seulement comme forme. Elle existe aussi comme événement produit par le discours. Quel discours ?
C’est précisément ce que met en scène l’autre part de l’exposition, les aquarelles à tendance « monochrome relatif » sur lesquelles on peut lire, gommes gravées à l’encre noire du destin, des mots issus des journaux, des films, transformés souvent et qui tous tentent de nous dire ce qu’il faut faire pour survivre dans un monde devenu inhospitalier. Au fond ce sont des slogans. Mais n’est-il pas vrai que nous pensons par slogans ? Et cela depuis toujours ?

En voici quelques exemples : Paiement après résultats ! No progress in pleasure ! Tables dressées avec tous les articles à un euro ! Murs blancs, jeunesse aveugle !
En effet, ces formules lapidaires sont de réelles traces de la manière dont nous pensons. Inventés par certains pour en aider d’autres à s’orienter dans l’existence, ces formules sont les proverbes d’aujourd’hui.
C’est donc vers le dispositif de l’exposition qu’il faut se tourner maintenant. Il y a d’une part les objets noirs et d’autre part les mots sur fonds colorés. Il y a le visible aveugle et le lisible florissant, le sens incernable et la signification incertaine et entre les deux, il y a nous. Car c’est ce que nous faisons, quand nous pensons. Nous fabriquons des formes absolues qui nous servent de référence à partir de formes diverses qui se mélangent en nous et qui ne sont donc pas « pures ». Nous fabriquons des directions de comportement à partir de phrases qui ne sont pas plus « pures » et qui pourtant nous aident à avancer. Entre visible et lisible, un jeu se joue dont nous jouons les différentes parties et qui se joue de nous, celui de notre fonctionnement psychique dont nous ne savons pas tant de choses que cela. C’est de cela que nous parle et avec précision le travail de Stéphane Le Mercier.
Une preuve, s’il en faut une ? Cet objet noir, (La reproduction, sans titre) appuyé contre le mur, comme accroché à des pieds surdimensionnés et qui semble là pour rien. Regardez-le ! Ce n’est rien d’autre qu’une présence métaphorique et métonymique de notre cerveau, ce paquet de nuit qui sert d’échangeur entre mots et images, sens et non-sens et que nous sommes. Ne voyez-vous pas que debout devant nous, il nous regarde comme sans fin ; yeux clos nous cherchons nous aussi à le voir ?