La dimension critique du réseau

Revue d’art depuis 2006

Deux ans de crise sanitaire, deux ans que le mot soignant est dans toutes les bouches, entre crainte, révérence et mépris. Le Musée des Beaux-arts de Dole, ville de naissance, il y a deux siècles de Louis Pasteur, redonne à penser l’actualité en réunissant artistes et philosophes sur la question du soin, avec et au-delà du développement des techniques médicales. L’exposition Prendre soin, restaurer, réparer de la Renaissance à nos jours est visible jusqu’au 12 mars et s’accompagne d’un catalogue jalonné de textes denses.

Peut-on envisager le soin comme faisant lien entre visible et invisible ? C’est le cadre proposé par l’exposition. Le soin appelle donc sa représentation, celle des personnes qui soignent, celle de la maladie et de la mort qui emportent le corps en le dégradant, celle des activités intérieures du corps invisibles à l’œil nu, celle du dispositif de la vision elle-même, autant de motifs et catégories traversent les œuvres réunies, faisant de l’art une autre forme de soin.

Parmi ces œuvres, l’œil s’arrête sur le Corps commun de Sarah Roschem, objet composé de sangles et d’élastiques, réalisé en 2016, accompagné d’une photo de son activation, où quatre personnes en combinaison de couleur étirent la structure en des directions différentes. Le corps commun apparaît ici à la fois comme une image de tout corps vivant, espace relationnel travaillé de forces contraires et maintenant pourtant son équilibre sans se détruire immédiatement, mais aussi du corps social fait d’antagonismes qui créent une forme inédite et mobile.

Même s’il est question d’altérité de Lévinas à Fleury, d’humanisme, de nécessité du care au-delà de la cure, la violence n’est pas omise. Nombres d’œuvres disent cette souffrance. Ce sont les corps prêts à être ouverts par les lames aux yeux de tous, ceux qu’on attache pour qu’ils ne puissent pas s’enfuir, la patiente de Charcot alitée au regard frontal, les enfants pris en photo parce qu’ils présentent des variations génomiques, l’énigmatique écorché à la gueule cassée de David Altmejd.

La médecine, ses normes, ses recherches et développements récents sont au centre de l’exposition mais d’autres formes de soin, sont également présents, on retrouve notamment des œuvres dotées d’une forte dimension spirituelle, celles de Marina Abramovic, Delphine Trouche et Vidya Gastaldon, mais aussi un saint suaire brodé du XIX° siècle appartenant aux collections muséales. Les textes des philosophes Jean Philippe Pierron et Damien Delorme convoquent, quant à eux, la question du soin des non-humains dans une perspective écologique.