Chambord. Au coeur d’une forêt giboyeuse s’élève un château à l’architecture élégante. Dans ce site patrimonial d’exception où art et nature se répondent, l’artiste Lydie Arickx a déployé des fresques et des sculptures de grand format, occupé la chapelle et rempli des petits cabinets de curiosités. L’histoire naturelle et l’actualité des sciences du vivant l’ont inspirée.
La contraste entre la petitesse de la personne de l’artiste pleine d’énergie et de fantaisie et l’ampleur presque démesurée et la gravité imposante de ses productions peut interloquer. Sans limite, sans filtre, elle s’autorise tout. Son art sort d’un bouillonnement proche d’une l’activité pulsionnelle, d’un faire qu’elle ne rattache à aucune programmation. On peut trouver ça et là des affinités avec Dado ou le puissant Paul Rebeyrolle, qui furent ses amis. Ils étaient comme elle des créateurs infatigables que fascinait la vie organique et son explosion.
La chance d’être artiste
À quelqu’un qui lui a demandé si être femme avait influé sa carrière ou l’avait gênée, Lydie Arickx a répondu aussitôt que c’est une chance pour une femme d’être artiste ! Saisir cette chance au quotidien augure d’une forme de vie ouverte et réceptive qu’elle visualise comme une arborescence : sa vie d’artiste est réceptive par la profondeur de ses racines multiples et c’est une vie ouverte tendue vers un déploiement constant de formes de vies multiples, des vies organiques internes ou externes dont son art se fait l’écho.
La féminité est puissance de vie, surabondace génésique. Pour elle, l’accouchement, la naissance sont privilégiés, même si la mortalité individuelle les englobe aussi. L’art représente alors non des formes mais des forces : ce qui implique une rupture du principe d’individuation qui s’arrêterait à former de belles figures. Ces formes de vies qui se multiplient comme des branches proviennent d’un même élan vital unique et indistinct qui se trouve à leur source. Lydie Arickx reproduit des poulpes trempés dans de l’encre. L’organique est montré dans sa finesse comme Arbre corail qui présente le réseau de veines pulmonaires rattaché à un arbre. Une sphère vitale contient les êtres des origines
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Yves Michaud, dans le catalogue qui réunit de véritables offrandes d’écrivains à l’artiste 1 évoque la VIE NUE – en reprenant le terme à Giorgio Agamben. Il connote l’aspect de Vanités, de danse macabre, voire la morbidité de son art.
Cet art est perturbant à dessein. Mais j’y verrais plutôt une vitalité somptueuse dont la surabondance englobe toutes les formes de vie, les pathologies et la décrépitude comprises, sans qu’aucun affect pathétique n’y soit associé. Ces réalisations pointent vers une esthétique naturaliste à la Courbet plutôt que vers une verve expressioniste débridée et d’ailleurs, le terme “expressionniste” a posé probléme dès l’origine, notait Waldémar Georges dans les années 50 quand il écrivait son petit recueil sur l’Expressionisme qu’il considèrait déjà à l’époque comme une catégorie fourre-tout. Ce n’est pni un mouvement ni un style, c’est un “état d’esprit”, une vision dionysiaque de l’art qu’il rattache au romantisme allemand et à une quête de l’origine dans les arts primitifs, les dessins d’enfant et l’art des fous, qu’il ne retrouve pas dans l’art français. Sans doute, les expérimentations matériologiques de cette artiste possèdent une force expressive, mais elles s’articulent aussi à des formes symboliques. La relation entre les deux crée une tension qui varie selon les productions.
Métamorphoses, Monstres, Hybridations chimériques
Pythagore avait créé une religion astrale qui prônait la croyance à la métempsychose. Notre vie sur terre n’est qu’un moment d’une existence beaucoup plus vaste à laquelle la réminiscence peut nous permettre d’accéder. Et elle interdisait de consommer des fèves parce que leurs raciness s’enfoncent si profondément sous terre qu’elles atteignent le séjour des morts, ou plutôt la salle d’attente de leur retour. La cosse de fève géante de Lydie Arickx nous interpelle sans qu’on en perçoive la signification : c’est à la fois un sarcophage, une barque, une piroque étroite et allongée en provenance du fleuve des Enfers, et un réservoir de vies minuscules repliées sur elles-mêmes – on s’aperçoit que les fèves sont des foetus roulés en boule.
Il ne s’agit pas comme dans le christianisme d’une résurrection des corps ( autre thème illustré par l’artiste ) mais d’une migration, d’un retour dont la réminiscence reste obscure, implicite y compris et surtout à elle-même. Car la mémoire de l’artiste renoue obscurément avec les origines, avec les pensées archaïques de la vie. Le tracé cruciforme de l’exposition reprend la manière dont les Présocratiques comprenaient l’homme et le monde à partir de quatre éléments fondateurs : Air – Terre – Eau – Feu. Hippocrate, après eux, avait nourri sa théorie des humeurs de leurs proportions.
Quant à l’immense fresque où, lors d’une performance publique, elle a recouvert une reproduction de la Naissance du Printemps, c’est tout sauf un hommage à la Renaissance italienne et à Botticelli. Elle fait surgir la vision torride d’un printemps païen, dyonisiaque et déchaîné, qui évoque Le Sacre du Printemps de Stravinsky ainsi que sa mise en scène par Pina Pausch, une effusion lyrique en hommage à une terre dévorante qui exige le sang d’une victime.
La vie est une danse où les formes se transforment sans cesse, se mêlent, se mélangent en créant des chimères hybrides, des monstres et des métamorphoses dont la mythologie antique avait le secret. L’arbre, son arborescence, est un schéma qui résume la partition inépuisable de la vie dont la source reste mystérieusement cachée. Forme symbolique depuis l’arbre de la connaissance au Jardin d’Eden, l’Arbre avec son déploiement des branchages au-dessus du tronc qui leur sert de socle, pilier unique généalogique, voire géologique et biologique, est une forme qui reste encore une forme rationnelle. Descartes ne comparaît-il pas la philosophie à un arbre dont les racines sont la métaphysique ?
Lydie Arickx serait plutôt du côté des coraux, qui sont mi-végétaux mi-animaux, des algues, des lichens, ou encore du rhizome deleuzien. Et c’est aussi un arbre qui représente l’aborescence des espèces qui s’engendrent. Darwin avait dessiné l’entrecroisement des espèces, leur évolution à partir de leur origine commune. Ces formes de vie qui sont en lutte perpétuelle portent en elles la mort comme la vie. Les splendides et impressionnants Massacres de Lydie Arickx ne sont à Chambord qu’un rappel des Trophées des chasses royales et des festins anciens.
1 Alain Gillis, Patrick Grainville,Marie Darrieusecq, Olivier Kaepellin, Yannick
Mercoyrol ont écrit dans le catalogue d’ARBORESCENCES, In Fin Ed, Paris.