Dans le cadre de l’opération « 1 jour, 1 œuvre », le Centre Pompidou a exposé le mercredi 18 juillet 2018, au sein du Centre d’Hébergement d’Urgence Migrants Paris-Ivry, l’œuvre « Oiseau avalant un poisson » de Henri Gaudier-Brzeska. Cette sculpture, réalisée en 1914 par le sculpteur et dessinateur libertaire français Henri Gaudier-Brzeska, né en 1891, alors réfugié en Angleterre en raison de son antimilitarisme, a été choisie par la direction du Centre d’Hébergement d’Urgence.
A M. F.
In Memoriam
A nos ancêtres morts dans le silence assourdissant de la 2e bataille d’Artois à Neuville-Saint-Vaast [mai-juin 1915] et dont les corps n’ont jamais été retrouvés. Milliers d’ossements dans le chemin des Carrières. Moins d’un kilomètre d’avancée. A nos soldats anonymes français, anglais et canadiens. A ce musicien de 36 ans du cercle philarmonique « La Concorde » de Centuri dans le Cap Corse. Morts pour que nous soyons libres. Pace.
C’est au cours de la bataille d’Artois le 5 juin 1915, à Neuville-Saint-Vaast dans le Pas-de-Calais qu’ Henri Gaudier-Brzeska est tué à l’âge de 23 ans alors qu’il s’était engagé en 1914 malgré ses idées anarchistes et antimilitaristes affichées. Il fut, malgré son jeune âge, l’une des figures de la sculpture moderne. Son œuvre est marquée par l’influence de Rodin, puis de J. Epstein et de C. Brancusi. Il participe du vorticisme, variante britannique du mouvement futuriste, dont il devient le pionnier dès 1913. Il opère bientôt une synthèse originale entre cubisme et primitivisme.
Il « eut le temps » de contribuer de manière décisive au renouveau de la sculpture au tout début du XXe siècle. Si toute sa carrière s’est déroulée à Londres, il reste méconnu du public français. Le Centre Pompidou conserve pourtant un admirable ensemble des sculptures et des dessins de Gaudier-Brzeska, réunis grâce à la générosité d’un collectionneur anglais. Caractérisée notamment par la taille directe du marbre ou de la pierre, son œuvre sculptée est inséparable de son œuvre de dessinateur très personnelle.
« 1 jour, 1 œuvre » est un programme de sensibilisation à l’art et à la création hors-les-murs du Centre Pompidou. Pendant une journée, une œuvre majeure des collections du Centre Pompidou ayant marqué l’histoire de l’art des XXe et XXIe siècles, est présentée gratuitement au public, en dehors du contexte muséal. Cette opération hors des murs du musée s’inscrit dans la mission de diffusion, d’éducation et de sensibilisation artistique du Centre Pompidou.
L’œuvre Oiseau avalant un poisson [1914 / 1964 Bronze patine brune d’après le plâtre original [1914] conservé à Kettle’s Yard Foundation, 31 x 60 x 29 cm Don de la Kettle’s Yard Foundation en 1965. Collection Centre Pompidou, Paris.] a été présentée aux familles recueillies au sein du Centre d’Hébergement d’Urgence Migrants Paris-Ivry par Ariane Coulondre, conservatrice au Musée national d’art moderne et l’échange a été traduit en arabe, en dari, en pachto et en anglais. Un atelier de pratique artistique a ensuite été proposé aux enfants à partir de 5 ans et à leurs parents. Un groupe d’enfants du Centre de loisirs Henri Barbusse d’Ivry-sur-Seine, a été invité par Emmaüs Solidarité à cette occasion.
Cette sculpture témoigne de l’aboutissement de la recherche d’Henri Gaudier-Brzeska sur la sculpture animalière. Synthèse des formes et expression du mouvement. Les formes sont simples, réduites à un signe graphique afin d’exprimer l’action de l’oiseau d’avaler un poisson. Est-ce cette simplicité accessible qui a motivé le choix de la direction du Centre d’Hébergement ? Ces formes s’imbriquent les unes dans les autres et s’entraînent entre elles dans un processus d’emboîtement. À travers le thème de l’avalement, Gaudier-Brzeska trouve une métaphore qui syncrétise des dynamiques opposées. Ici deux mouvements cohabitent : l’oiseau plonge dans la mer pour se nourrir et remonte hors de l’eau avec un poisson. Sculpture-talisman, le sculpteur cherche un équilibre formel et intègre, sans les hiérarchiser, toutes les émotions. Quelques mois plus tard, avant d’être tué au combat, Gaudier-Brzeska écrit vouloir faire une sculpture à deux faces, semblable à « l’intensité de la vie ».
Le Centre d’Hébergement d’Urgence Migrants d’Ivry-sur-Seine a ouvert ses portes en janvier 2017 pour proposer une prise en charge aux femmes et familles migrantes arrivant à Paris. Animé par 75 salariés et avec l’aide de nombreux bénévoles, il propose 400 places d’hébergement, un pôle santé coordonné par le Samu Social ainsi qu’une école intégrée, en partenariat avec l’Education Nationale. Au 9 juillet 2018, ce dispositif humanitaire global conçu pour répondre à des parcours d’exil a permis « l’hébergement » de 2.677 personnes dont de nombreux enfants.