Quatrième édition de La nouvelle photographie , un petit festival d’une réelle exigence

Le quatrième festival photographique de Port la Nouvelle présente quatre créateurs à l’espace Broncy , une programmation du couple fondateur Claudio Isgro et Sylvie Romieu, tous deux plasticiens. Sans thématique cette manifestation s’attache à des parcours individuels de qualité qui témoignent de différents états de cet art actuel.

Claudio Isgro est diplômé de l’Institut Européen de Design de Turin. En 1998 il a créé l’association Fine, dont les productions ont fait l’objet d’un don au Musée de la Photographie de Milan , géré par Roberta Valtorta, au moment de sa venue dans l’Aude d’où Sylvie Romieu est originaire.

L’affiche 2023 reproduit une image de Laura Pannack , née en 1984, elle vit et travaille à Londres. Spécialiste de l’intime , elle établit une relation de confiance avec ses modèles dont beaucoup de jeunes gens. Elle s’était consacrée par exemple à illustrer les Jeunes naturistes anglais. Pour la relation amoureuse ils sont aussi l’objet de sa série Young Love . J’avais apprécié également ses mises en scène en studio de couples mixtes franco-anglais au moment du brexit pour sa série Séparation, je les avais intégrées à mon livre Les fictions documentaires paru en 2022 aux éditions Scala. Island Symmetries série exposée ici approche les différences à l’intérieur de petits groupes d’adolescents. Quand elle portraiture d’ autres génération elle les voit ainsi dans la logique de son oeuvre comme des Jeunes sans âge (Youth without Age).

Le festival donne sa chance à un photographe débutant Filippo Zibordi en exposant sa série Dyschronie. Ses compositions très dynamiques s’appuient sur des rythmes liés aux mesures du temps , 12, 24, 60. Il revendique des images « à la fois coupées, dilatées ou compressées ». Ses fragments réunissent des photos de famille, auxquelles il veut donner une nouvelle énergie, pour faciliter aussi une identification du public , avec ces images qui participent de leur imaginaire intime.

Autre collaboration, le collectif de deux jeunes toulousaines, l’essoreuse avec une promenade sonore bien montée met en valeur le lieu , et sa baie vitrée donnant sur le port. En allant à la rencontre des habitants, elles souhaitent sonder des territoires réels ou imaginaires pour en collecter les histoires particulières. Grâce à l’enregistrement de tranches de vie, de sons urbains , d’archives, elles offrent ici une traversée de la ville, du chenal à la mer en passant par le port de pêche, la réserve naturelle, le port industriel…

La révélation de cette édition est incontestablement Liis Lillo. Née en 1987 à Tartu, en Estonie elle a été diplômée de l’Institut supérieur des arts de Toulouse en 2013, ville où elle réside. Elle met en scène pour ses prises de vues des installations à partir de mobilier usagé, de vêtements et de meubles d’occasion. Elle dissimule dans son cadre des corps qui par mimétisme des formes et des couleurs deviennent des sculptures vivantes. Ici elle expose deux séries ; des photos couleurs grand format constituent la première Habit-A qui montre ces habitations de fortune avec un corps caché sous des vêtements. La seconde présente de petites maquettes murales d’une grande inventivité, intitulées Si un jour elles dialoguent avec des meubles customisés grâce à des scans de vêtements qui se superposent par transparence à leur structure , objets-photos dont elle nous laisse imaginer le pouvoir grâce à des titres poétiques Jamais partir pour toujours ou Stalagmites de souvenirs.

Dans la continuité de leurs engagements dans la région, se souvenant de leur participation au festival Identi’terres en 2010 à la Maison des Arts de Bages pour Paysage à trois Sylvie Romieu et Claudio Isgro y exposaient avec Anne Montaut (née en 1957). Ils l’ont ensuite présentée dans leur festival.Apprenant son décès en début de cette année ils lui rendent ici hommage. Elle a été formée à la sculpture aux Beaux Arts , puis aux Arts Déco de Paris avant de se consacrer à l’image argentique , qu’elle n’a jamais abandonnée. Jean-Pierre Piniès ethnologue et écrivain qui a suivi son oeuvre la décrivait ainsi : « Si le foisonnement de l’œuvre interdit de trop lui assigner de limites, il reste possible d’en dessiner quelques territoires autour de plusieurs thèmes, le vide, la trace, l’affranchissement des formes immédiates et le jeu permanent de la mémoire. »

Les somptueux tirages noirs et blancs exposés ici confirment cet engouement pour l’ombre, la trace, la mémoire, avec de rares phénomènes d’apparition lumineuses dialoguant avec des présences corporelles juste suggérées.

Dans une vitrine est présenté un petit livre d’une grande puissance évocative « Là aussi se rassembleront les aigles », catalogue dune exposition éponyme accueillie à la Maison des mémoires de Carcassonne en 2014 . En hommage à son grand-père trépané pendant la 1e guerre mondiale elle a réalisé de petites figures de papier qu’elle met en scène , avec des barbelés, des arbres détruits pour des gros plans de champs de bataille où des silhouettes de soldats à l’échine courbée se lancent dans une fuite impossible aux atteintes de la mitraille.

L’oeuvre d’Anne Montaut dans son soin extrême apporté aux tirages , comme dans son exigence de thématiques visuelles aussi subtiles que sensuelles reste un apport important à la photographie directe.