Quelque part entre Belfort et Nantes

Née sur les hauteurs du vieux Belfort, la galerie Robet Dantec ouvre à présent ses portes à Nantes, dans un nouvel espace situé au 36 rue Voltaire. L’exposition Émergences 3 sera l’occasion de présenter des œuvres d’Ugo Arsac, Yann Bagot, Rebecca Brueder, Elsa Broustet, Gaël Darras, Leah Desmousseaux, Ilhem Ellouze, Aurélien Finance et Raphaël Galley.

Florence Andoka Comment avez-vous ouvert votre propre galerie à Belfort ? Comment s’est décidé ce nouveau déploiement à Nantes ?

Catherine Robet Au départ, mon idée était de créer une galerie d’art contemporain dédiée aux œuvres sur papier, comme le dessin, l’aquarelle, ou les multiples. Et comme souvent les sculpteurs ont une intelligence du dessin hors pair, j’ai étendu ma sélection aux artistes qui travaillent le volume. Ouvrir cette galerie à Belfort semblait pour beaucoup une gageure. Belfort résonne plutôt par son histoire industrielle que par que de son marché de l’art. Néanmoins, la situation géographique de la ville me paraissait intéressante. Elle se situe au croisement d’axes importants qui desservent la Suisse, la Belgique, le Luxembourg, l’Allemagne, mais également Lyon et Paris. Beaucoup de collectionneurs et amateurs d’art vivent dans la région. Ils vont souvent à Paris ou dans les foires d’art contemporain pour nourrir leur passion. Avec mon conjoint et associé, nous avons donc décidé de tenter l’aventure. Après trois ans de préparation, la Galerie Robet Dantec naissait à Belfort en 2019 avec l’exposition « émergences », une sélection de 6 jeunes artistes.

L’affluence des visiteurs le jour de l’inauguration a dépassé nos attentes. Près de 150 personnes sont venues ce soir-là. Quelques mois plus tard, la crise sanitaire de la Covid 19 et les confinements successifs nous obligeaient à fermer les expositions. Une catastrophe tant pour la survie de la galerie que pour les jeunes artistes dont certains présentaient leur première exposition personnelle. Nous avons tenu et démontré que l’on pouvait être une galerie en région et mener un travail de recherche, de repérage et de soutien aux artistes émergents avec des exigences semblables aux galeries de références.

La reconnaissance est également venue des institutions publiques, des associations artistiques locales, ou d’autres lieux avec qui nous avons collaboré ou travaillé en partenariat, sur des projets d’exposition ou de commande publique. Alors pourquoi Nantes ? Tout simplement pour des questions d’ordres personnels et familiaux. J’aurai aimé ouvrir à Nantes tout en gardant la galerie de Belfort, et confier ainsi la programmation à un ou une directrice artistique, mais nous sommes encore une jeune galerie et c’est un risque financier trop important. Ainsi, pour continuer à proposer des expositions au public et aux collectionneurs de l’Est de la France, j’ai imaginé une programmation nomade, avec des expositions qui investiront des lieux atypiques, des espaces mis à disposition, des collaborations avec des partenaires publics. C’est un projet qui devrait voir le jour en 2024. Pour l’instant, je me concentre sur Nantes, et l’exposition inaugurale se veut un clin d’œil à la toute première exposition de la galerie à Belfort avec le titre « émergences ».

Florence Andoka Vous représentez de jeunes et même de très jeunes artistes, notamment Rebecca Brueder ou encore Elsa Broustet. Comment les avez-vous rencontrées ? Qu’y a-t-il dans le début d’un parcours qui vous touche particulièrement ?

Catherine Robet Pour faire des rencontres, il faut se déplacer, aller voir les expositions de jeunes diplômés, dans les écoles d’art ou les lieux associatifs. Parfois, les réseaux sociaux permettent aussi de repérer un artiste. Ainsi, j’ai découvert le travail d’Elsa Broustet à la Kunsthalle de Mulhouse où elle exposait des petites céramiques au sol. Je l’ai toute de suite appelé pour aller la voir dans son atelier. Quelle surprise lorsqu’elle m’a montré ses dessins à l’encre, extrêmement minutieux et détaillés, à l’image de miniatures persanes. Même schéma avec les céramiques de Rebecca Brueder et sa série Alep que j’ai découvertes dans une biennale d’art contemporain. En la rencontrant par la suite, elle m’a parlé de ses dessins réalisés point par point. J’avais en face de moi une véritable artiste. Le premier regard est toujours suivi par une discussion, une visite d’atelier qui vient confirmer (ou infirmer) cet instant où le regard est capté. J’aime cette idée de saisissement que l’on ressent face à une œuvre qui nous étonne par ses qualités plastiques, sa justesse, sa force évocatrice ou encore son raffinement. J’aime l’idée de la promesse qu’elle nous fait d’ouvrir une voie vers de futurs développements. Ce qui compte également pour moi, c’est que ces jeunes créateurs portent un vrai regard sur le monde qui nous entoure et nous le restituent « en forme », qu’il s’agisse de dessin ou de volume. C’est ce qui permet de dire que tel ou tel artiste s’inscrit dans le champ de la scène contemporaine. Une œuvre qui « invente » le monde, comme l’inventeur d’un trésor, comme les peintres hollandais ont inventé le Paysage, me touche particulièrement. C’est d’autant plus touchant lorsque l’on trouve cela dans la production d’un ou d’une jeune artiste, car c’est à ce moment-là que l’on peut dire que le parcours à de grande chance d’être prometteur.

Florence Andoka Sur le site internet de la galerie, vous citez Jean-Luc Nancy et la notion de distinct que le philosophe renvoie à ce qui retire, ce qui tient à l’écart et qui aurait à voir avec l’art. Outre une inclinaison pour le dessin, les univers des artistes que vous représentez sont très différents les uns les autres, je pense notamment au travail de Leah Desmousseaux et à celui d’Aurélien Finance. Qu’est-ce qui retient votre regard ?

Catherine Robet J’aime beaucoup cette citation de Jean Luc Nancy qui nous parle de trait révélateur. Les univers des artistes de la galerie ont toujours à voir avec ce trait qui nous oblige à faire un pas de côté et nous permet de voir ce qui était caché. Ce n’est pas qu’une question de technique. Par exemple, Leah Demousseaux fabrique des images à la main, les manipules dans la chimie de son bac révélateur. Mais il est toujours question pour elle de restituer la trace infime de l’image, l’empreinte de l’empreinte de l’empreinte… Les traits d’Aurélien Finance sont ceux que forment les fils de coton dans ses installations et ses volumes colorés. Il pratique des techniques qui ont à voir avec l’art populaire, le crochet, la couture, la broderie, et les place à l’écart dans des créations narratives inspirées de ses expériences personnelles. Comme Raphaël Galley qui utilise des savoir-faire artisanaux (taille de pierre, menuiserie…), ou les œuvres numériques de Ugo Arsac, qui nous font pénétrer dans les sous-sols des villes comme des cataphiles virtuels parcourant un dessin immersif de points blancs en 3D. Les œuvres des artistes de la galerie puisent ainsi dans les mémoires collectives, elles m’interpellent parce que j’y reconnais un propos universel. Et pour moi, c’est ce qui fait Art.