Redécouvrir Dominique d’Acher

Dans le tempo sans fin des journées grises, quel plaisir de découvrir l’œuvre vive et inspirante de Domnique d’Acher par une monographie, « Les Chantiers organiques de l’inachevé », sous la direction de Samuel Monier, publié par Silvana Editoriale.

Ouvrage né d’une collaboration entre les musées d’art de Dole, de Sens et de la galerie Chartier à Lyon, Les Chantiers organiques de l’inachevé figure parmi les rares catalogues retraçant le parcours de cette artiste encore méconnue et figurant notamment dans la grande collection de Cérès Franco. L’œuvre de Dominique d’Acher, en particulier à partir de la deuxième moitié des années cinquante, est forte et singulière, avec tous ces visages asexués au regard vide qui prolifèrent et ses réseaux de filaments superposés, a peu de chance de laisser le regardeur indifférent. On aime, on n’aime pas, en faisant le pari que la question n’a rien d’illégitime en art. Bien sûr ce n’est pas parce qu’une œuvre vous parle, et que vous sentez que quelque chose entre ces lignes sinueuses vous concerne que le discours critique coule de source et s’impose, aussi est-il tentant de replacer l’artiste dans son siècle et au sein d’une brève constellation que chacun enrichira à son gré.

Née en 1929, Dominique d’Acher est décédée en 1991, son cheminement croise la pratique de certains de ses contemporains et notamment Bernard Réquichot et Jean Criton, avec lesquels elle étudie aux Beaux-arts de Paris dans les années cinquante puis choisit avec eux de s’affranchir des querelles de l’époque autour de l’abstraction et de s’inspirer des expérimentations des surréalistes. Ils participent notamment à la revue Phases créée par Edouard Jaguer en 1954, puis exposent ensemble à plusieurs reprises. Comme toujours, il y a les affinités électives du regardeur et l’œuvre de Dominique d’Acher en appelle d’autres, ce sont les empâtements lavés de Jean Fautrier, les méandres rougeoyants et psychédéliques d’Hundertwasser, les anfractuosités d’Unica Zürn ou de Fred Deux. On n’est pas étonné d’apprendre que Dominique d’Archer a suivi les cours de Gilles Deleuze et a même correspondu avec lui.

L’intérêt de cette monographie est aussi de se laisser bercer par les évolutions de l’œuvre au fil du temps. Le parcours de Dominique d’Acher est composé de différentes périodes aux styles divers, mais dont se dégage des thèmes récurrents. Figurant dans le catalogue, l’article de Chloé Leroy, « Corps organique, corps mécanique : de l’embryon au cyborg » est particulièrement éclairant sur ce point, faisant de la dimension organique de l’œuvre un parti pris à la lisière de l’abstraction et du figuratif, quelque chose partant du corps et de l’imaginaire des mécanismes de la vie, de la cellule en multiplication, à cette figure récurrente de l’embryon, puis de l’être hybride, du cyborg.